Mahmoud l’Argentin : « l’armurier » de l’armée de libération algérienne (Portrait)

Un homme, des idéaux, un engagement et droiture. Muni d’un bagage chargé de militantisme et armé d’une maîtrise professionnelle, il quitte son lointain village de General Villegas, près de Buenos Aires, en Argentine pour venir prêter main forte à un pays luttant pour sa libération du joug colonial français : l’Algérie. Lui, c’est Roberto Muniz, connu sous son nom de membre de l’armée de libération nationale algérienne (ALN), Mahmoud l’Argentin, décédé, le 12 novembre courant à Alger, à l’âge de 99 ans.

Qui est-il ? Comment s’est-il engagé aux côtés des Algériens pour lutter contre la France coloniale ? Toute une histoire. Né le 17 juillet 1923 à General Villegas près de Buenos Aires, Mahmoud l’Argentin était le cadet de ses frères et sœurs. Issu d’une modeste famille d’agriculteurs où la lutte pour la dignité n’était pas un vain mot, l’homme a appris, très jeune, à gagner sa vie. Enfant, il aidait déjà son père dans les champs.

« Fils d’un paysan, il vivait à 500 km de la capitale argentine. Il participait au travail de champs jusqu’à 8 ans », nous raconte son fils, Mahmoud-Luis Muniz (son père lui a donné son surnom de guerre), qui nous a reçu un après-midi dans le modeste apparentement acquis par son père le moudjahid, dans un quartier populaire au cœur d’Alger. Le petit Roberto abandonne vite les bancs de l’école. Il se dirige alors vers la formation professionnelle, pour obtenir un diplôme qui lui permettra d’entamer, très jeune, une vie professionnelle.

Ferronnier-matriceur

« Arrivé au moyen, il se dirige vers une école de formation pour obtenir un diplôme de ferronnier, puis de matriceur. C’est ainsi qu’il a trouvé un premier travail à 1500 km de son lieu de résidence. Il est engagé par la compagnie pétrolière d'Argentine. Dans un premier temps, ses parents, notamment sa mère, étaient opposés à cet éloignement. Mais il a fini par les convaincre », explique Mahmoud, fils.

Son sérieux au travail lui permet de réussir aussi rapidement. « Il a commencé alors à faire des virements d’argent à ses parents pour les aider à faire face aux dépenses de la famille. Il a même aidé son frère aîné à trouver du boulot au sein de la compagnie pétrolière », ajoute notre interlocuteur.

Roberto Muniz n’était alors qu’au début d’un long et riche parcours. Après son service militaire passé en tant que maréchal-ferrant, il part à Buenos Aires pour entamer, cette fois-ci, une autre carrière, celle de militant politique et de syndicaliste. Il participe à la création du parti ouvrier argentin, dont il est devenu le secrétaire général. « Il a quitté ce poste quelques années après pour devenir syndicaliste et se révéler comme une voix qui porte dans la lutte pour l’égalité et la justice », rappelle-t-il.

Le contact avec des cadres du FLN

S’illustrant comme un défenseur des causes des humiliés et des opprimés, Roberto Muniz a épousé, vite, la cause algérienne. Entré en contact avec des membres d’une antenne du Front de libération national algérien (FLN), il ne ménage alors aucun effort pour organiser et participer à leurs meetings dans la capitale d’Argentine. Un engagement désintéressé et sincère.

C’était durant les premières années de la guerre de libération du peuple Algérien, enclenchée en 1954. La cause du FLN était une priorité pour lui et il a mené campagne, des années durant, pour la faire connaître. Cet investissement capte l’intérêt des représentants du FLN qui lui proposent de passer à une étape supérieure pour aider encore davantage la révolution.

« La proposition lui a été faite en 1958. Le FLN voulait fabriquer ses propres armes et le matriceur Roberto était le profil recherché. Mais mon père devait consulter d’abord ma mère, elle aussi syndicaliste, avant de prendre une décision. La réponse de ma mère étant favorable, il a pris ainsi l’avion pour le Maroc», enchaîne encore Mahmoud-Luis.

Un accueil euphorique

Arrivé à Rabat, où est installée l’usine clandestine de fabrication d'armes, Roberto est accueilli en héros. « On lui a organisé une réception grandiose. Les militants du FLN-ALN étaient au summum de la joie d’accueillir celui qui leur permettra de fabriquer les premières armes qui seront acheminées en Algérie pour armer les maquisards du front. Ils étaient cinq étrangers dans cette usine : trois Argentins, un Allemand et un Grec », précise-t-il.

Pour passer inaperçu tout en menant un travail clandestin, il fallait donner à ces étrangers des surnoms. « C’est ainsi que mon père a hérité de celui de Mahmoud l’Argentin. Un autre collaborateur, portant une barbe grisonnante, a été appelé Aissa, en référence à Jésus », dit-il. Dans cette usine, Mahmoud l’Argentin et ses camarades travaillent dur. En deux ans, ils fabriquent 10 000 mitraillettes, 100 000 chargeurs, des obus et des grenades.

Pour ce faire, ils ont récupéré une mitraillette 24 allemande qu’ils ont démontée. « C’était un vrai processus de fabrication. Les armes sont ensuite essayées une par une, avant d’être démontées et emballées dans des boîtes à chaussures afin de les envoyer, en toute sécurité, en Algérie », ajoute-t-il. Pendant ce temps, l’armurier et son équipe reçoivent même la visite du chef du ministère de l’armement et des liaisons générales (MALG), du gouvernement provisoire algérien (GPRA), Abdelhafid Boussouf qui était content du travail accompli.

« Mon père m’a raconté même des anecdotes. Pendant l’essai des armes, les Algériens travaillant avec lui parlaient entre eux en Kabyle. Il les entendait dire quand une arme a un défaut : « teteqloqul (Elle a un problème) ». Un jour, lui-même a découvert qu’une des armes n’était pas au top. Il a dit alors « qloqlo » et c’est tout le monde qui s’est mis à rigoler », raconte-t-il.

Après l’indépendance, Mahmoud l’Argentin fait le choix de s’installer définitivement en Algérie où il obtient la nationalité algérienne. Au Maroc, indique son fils, les cadres du FLN lui ont remis un billet de retour en Argentine. Mais il a refusé. Il voulait d’abord voir l’Algérie pour décider ensuite. Muni d’un laisser-passer, il rejoint d’abord la ville d’Oran. Sur place, on lui a conseillé d’aller voir les dirigeants du FLN à Alger.

C’est ainsi qu’on lui propose d’aider encore le pays dans sa construction. Une demande qu’il accepta. Avec sa femme (décédée en 2005), qui l’a rejoint en 1963, Mahmoud l’Argentin exerce, jusqu’en 1980, dans l’entreprise algérienne de gaz et d’électricité, Sonelgaz, avant de prendre sa retraite.

L’homme termine ses jours, avec sa petite famille sans rien changer de sa nature : modeste et humaniste. « Il a toujours était favorable à l’émancipation de la jeunesse. Il a toujours dit que : la force de l’Algérie, c’est sa jeunesse. Son souhait était de donner des conférences dans les écoles et les salles de cinéma pour parler de son parcours, de ses idéaux et de ce que doit faire l’Algérie pour avoir une meilleure position dans ce monde, devenu comme un immense engrenage », souligne le fils Mahmoud-Luis.

Pour transmettre ce combat, il souhaite publier, à titre posthume, les mémoires de celui qu’on surnommé le Che-Guevara algérien.

Source : AA

De la même section Contributions