Ciblée par de violentes manifestations à son encontre à la fin du mois de juillet 2022, la MONUSCO (Mission onusienne en RDC) fait l’objet d’un rejet sans précédent auprès de la population congolaise. Déployée depuis 1999 en République démocratique du Congo, cette mission onusienne de maintien de la paix a entamé son processus de retrait dans des conditions particulièrement hostiles.
Ce sont trois membres de la mission de l’ONU et au moins douze manifestants qui ont été tués au cours d’affrontements à Goma et Butembo les 26 et 27 juillet derniers. Avec un tel bilan, la MONUSCO a, dans l’esprit de nombreux Congolais, signé elle-même la fin de sa mission au Congo, où elle ne sera jamais parvenue à ramener la paix.
Son crédit, quant à lui, est entamé depuis plusieurs années déjà, au cours desquelles les manifestations et protestations à son encontre se sont multipliées. C’est donc dans ce contexte que le retrait progressif de la mission de paix s’est engagé, alors que le Conseil de sécurité de l’ONU a renouvelé, en décembre 2021, le mandat de la MONUSCO pour une année supplémentaire.
Un embrasement inévitable ?
Les contingents étrangers de l’ONU sont essentiellement déployés dans l’Est de la RDC. Depuis le mois de mai 2021, l’état de siège a été décrété par le Président Tshisekedi pour éradiquer l’insécurité qui règne dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri.
Plus d’un an après cette décision, son échec est d’autant plus inquiétant qu’en lieu et place d’une neutralisation des groupes armés actifs dans ces provinces, l’état de siège n’aura pu empêcher la résurgence en février 2022 du M23, rébellion vaincue en 2013 par l’armée congolaise et la MONUSCO. Soutenu par le Rwanda, comme cela a été confirmé au mois d’août dans un rapport confidentiel de l’ONU, le M23 constitue une menace nationale dont l’impact pourrait avoir une résonance sur toute la région des Grands Lacs, en cas de retrait de la MONUSCO. Cet aspect est d’ailleurs souligné dans le dernier rapport de l’Observatoire Boutros-Ghali du maintien de la paix, qui indique :
« Si les Casques bleus ne sont jamais parvenus à stopper totalement les violences locales et les exactions contre les civils, leur présence au cœur d’une région sensible et instable aura sans doute prévenu un nouvel embrasement régional. Il convient de garder cela à l’esprit car les ingrédients d’un tel embrasement, bien que légèrement atténués, sont toujours présents. En d’autres termes, le retrait de douze milles Casques bleus bien équipés va créer un vide sécuritaire. Il est essentiel qu’il soit compensé d’une manière ou d’une autre. »
Comme nous l’avons évoqué, la dernière victoire des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) contre un groupe armé remonte à 2013 face au M23. Pour venir à bout de la rébellion, la RDC avait dû compter sur la participation active de la Brigade d’Intervention de la MONUSCO qui joua un rôle déterminant dans le conflit. La perspective d’un départ trop brutal des Casques bleus fait craindre à certains Congolais, même favorables au retrait, une situation hors de contrôle pour les forces congolaises.
« Ce retrait ne devrait pas se faire dans la précipitation. Peu importe les reproches et remarques que nous pouvons formuler à l’encontre de la MONUSCO, nous ne pouvons nullement ignorer tout le travail qu’elle a abattu dans ce pays », a ainsi reconnu le révérend Senga, porte-parole de l’influente Eglise du Christ au Congo (ECC)[1]. « Dans sa communication, l'Église du Christ au Congo avait formulé une proposition pour qu'il y ait une tripartite entre le gouvernement, la MONUSCO et la société civile. Vous êtes sans ignorer qu'il y a quand même beaucoup de faiblesses au niveau de nos forces de défense, tant sur le plan de la logistique que d'autres aspects. Il faudrait que ces retraits soient faits de manière réfléchie, de manière stratégique, pour ne pas laisser une bombe après le départ de la MONUSCO. »
Des craintes liées aux échéances électorales
Pour répondre aux craintes émises, notamment dans les rangs de l’opposition, sur le timing du départ de la MONUSCO, le Président Tshisekedi a assuré que le processus débuterait après l’élection présidentielle qui se tiendra en décembre 2023. Pour l’heure aucun calendrier n’a été communiqué et à ce jour, la MONUSCO ne s’est retirée que de la province du Tanganyika, au Sud-Est du pays. Si La RDC bénéficie parallèlement du soutien de la Force conjointe de la Communauté d’Afrique de l’Est depuis le mois de juillet 2022, nul ne semble prêt à voir les Casques bleus quitter le pays au cours d’une année électorale.
« Quant à la MONUSCO, nous devrions réévaluer son mandat de sorte que son départ ne soit pas précipité et non planifié. Pour nous aussi la MONUSCO ne peut pas partir avant les élections », exigeait l’opposant Franck Diongo avant l’annonce de Félix Tshisekedi sur le départ des forces de l’ONU après la présidentielle. « On ne peut pas avoir les élections sans témoins. Pour nous, la MONUSCO doit rester jusqu'à ce qu'il y aura les élections, après la proclamation des résultats nous allons voir comment négocier avec les Nations Unies son départ ».
Depuis la fin de la Deuxième Guerre du Congo en 2002, les Nations Unies ont toujours été « témoins » des élections présidentielles congolaises. En 2006, malgré la présence des Casques bleus, le scrutin se déroulait dans la violence à Kinshasa entre les partisans (armés) du candidat malheureux Jean-Pierre Bemba et les forces gouvernementales fidèles à Joseph Kabila. Pour un certain nombre d’opposants, un départ précipité de la MONUSCO aurait lancé un signal particulièrement négatif à l’approche d’élections qui se seraient déroulées sans aucune force de pression.
Plus importante mission des Nations Unies déployée dans le monde, et si la MONUSCO , après 22 ans de présence en RDC, ne serait tout simplement pas en train de montrer ses limites ? Pour les spécialistes de la question, tels que le chercheur Michel Luntumbue (GRIP), « il y a indéniablement une tendance lourde : les opérations multidimensionnelles de grande taille déployées en Afrique arrivent en fin de course ».
Désormais, la question est de savoir sous quels délais exacts la mission onusienne quittera-t-elle effectivement le Congo, dans quelles conditions et surtout, pour quelles conséquences sécuritaires, mais aussi politiques, sur le terrain ?
Source : AA