Condamné mardi par la justice américaine à une lourde amende de 778 millions de dollars pour avoir soutenu plusieurs groupes terroristes dont Daech en Syrie entre 2013 et 2014, le groupe Lafarge reste poursuivi en France où il est mis en examen depuis 2018.
Malgré une enquête ouverte dès 2016 suite aux révélations faites par le journal Le Monde, l’instruction, confiée à trois magistrats, est toujours en cours.
- Sherpa et ECCHR saluent le plaider coupable mais restent prudentes quant à son impact en France
Dans une déclaration à l’Agence Anadolu, Cannelle Lavite, co-directrice du département entreprise et droits humains de l’ONG ECCHR (Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits humains) estime que « ce plaider coupable va dans le sens de ce qui est allégué » dans la plainte de l’organisation et vient corroborer (son) travail et celui de la justice française ».
« On n’est, cependant, pas en mesure de dire s’il y aura un impact de ce plaider coupable sur la procédure en France », explique la juriste qui précise que la procédure américaine « concerne uniquement la fourniture de moyens mais ne vise pas la complicité de crime contre l’humanité ni la mise en danger de la vie d’autrui » pour lesquels Lafarge est mis en examen en France.
Cannelle Lavite note également que « le plaider coupable ne couvre pas l’accès à la justice des victimes, anciens employés et parties civiles ».
Pour Anna Kiefer, chargée de contentieux et plaidoyer de l’ONG Sherpa, le constat est sensiblement le même.
Elle insiste sur la fait que « la procédure américaine est indépendante de la procédure initiée en France » même s’il s’agit en réalité « d’une reconnaissance publique de la part de Lafarge, de leur responsabilité pour des soutiens apportés à des organisations terroristes ».
« Ce qui est sûr c'est que nous comptons poursuivre notre action, qui est distincte et couvre des infractions différentes: l'entreprise Lafarge est actuellement mise en examen pour complicité de crimes contre l'humanité, mise en danger délibérée de la vie des salariés syriens, financement d'une entreprise terroriste et violation d'embargos », appuie la représentante de Sherpa.
- L’inaction et le silence de la France suscitent l’interrogation
Depuis la condamnation de Lafarge outre-Atlantique, plusieurs parlementaires s’interrogent sur le rôle de la France.
Interrogé par l’Agence Anadolu, le député insoumis David Guiraud, qualifie l’affaire de « scandale d’Etat » et s’étonne qu’une « grande entreprise française qui avoue publiquement avoir collaboré avec Daech sans que personne à la tête de l’Etat ne semble s’en inquiéter sérieusement ».
« On parle de millions d’euros versés à un groupe terroriste! Mais pour soi-disant lutter contre le terrorisme, le gouvernement préfère faire la chasse aux imams en France », grince l’élu de la 8ème circonscription du Nord.
Et les interrogations sont les mêmes chez nombre de ses collègues, dont la députée Sandrine Rousseau qui pointait, mercredi matin au cours d’un entretien accordé à l’Agence Anadolu, « la complaisance » de l’Exécutif « qui ne dit pas un mot sur cette affaire ».
Elle assurait par ailleurs que son groupe parlementaire interpellerait le gouvernement lors d’une prochaine session de questions au Palais Bourbon.
« Ce que je peux vous dire que c’est que cette condamnation est une bonne nouvelle et que la France, alors que nous avions alerté sur les connivences avec Daech, aurait dû faire la même chose », déclarait de son côté à l’Agence Anadolu, le député de Seine-Saint-Denis, Thomas Portes.
Si aucun membre du gouvernement, ni même la diplomatie, n’ont réagi à la condamnation américaine du géant français du ciment, plusieurs documents classés confidentiels et publiés par l’Agence Anadolu, ont révélé que l’Etat était parfaitement informé, via ses services de renseignements, des activités de Lafarge en Syrie, et de ses arrangements avec Daech.
Pour sa part, ECCHR espère « des développements dans les prochaines années » car même si « la justice est assez imprévisible, il est difficile de savoir sous quel délai l’affaire pourrait être jugée ».
À noter par ailleurs que Lafarge ayant fait appel de sa mise en examen pour « complicité de crimes contre l’humanité », une décision devrait intervenir dans les prochains mois sur ce volet précis.
Source : AA