Meurtre de Khashoggi : Washington accuse MBS, mais ne le sanctionne pas

Les États-Unis ont publiquement accusé vendredi 26 février le prince héritier d'Arabie saoudite d'avoir « validé » l'assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi et ont sanctionné certains de ses proches, sans aller jusqu'à punir le puissant dirigeant, dans l'espoir d'éviter la « rupture » avec cet allié clé. Riyad a « rejeté totalement les conclusions fausses et préjudiciables » du rapport des services de renseignements américains, tout en appelant de ses vœux la poursuite d'un partenariat « solide et fort » avec Washington.

« Le prince héritier d'Arabie saoudite Mohammed ben Salmane a validé une opération à Istanbul, en Turquie, pour capturer ou tuer le journaliste saoudien Jamal Khashoggi », écrit le renseignement américain dans ce document de quatre pages, déclassifié à la demande du président Joe Biden alors que son prédécesseur Donald Trump l'avait gardé secret. Le rapport souligne que le jeune dirigeant, surnommé MBS, disposait d'un « contrôle absolu » des services de renseignements et de sécurité, « rendant très improbable » une telle opération sans son « feu vert ».

Il contient une liste d'une vingtaine de personnes impliquées dans l'opération, dont l'ex-numéro deux du renseignement saoudien Ahmed al-Assiri, proche de MBS, et l'ex-conseiller du prince Saoud al-Qahtani, tous deux blanchis par la justice de leur pays. 

Une interdiction d'entrée aux États-Unis pour 76 Saoudiens

Le gouvernement américain a annoncé dans la foulée des sanctions financières contre le général Assiri et contre la Force d'intervention rapide, une unité d'élite chargée de la protection du prince, supervisée par Saoud al-Qahtani et présentée par Washington comme étant largement impliquée dans le meurtre. Le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken a, lui, interdit d'entrée aux États-Unis 76 Saoudiens, dans le cadre d'une nouvelle règle, baptisée « Khashoggi ban », ou « interdiction Khashoggi », visant toute personne accusée de s'attaquer, au nom des autorités de son pays, à des dissidents ou journalistes à l'étranger. Bien que directement mis en cause, Mohammed ben Salmane ne fait pas partie des personnes sanctionnées. « Les États-Unis n'imposent généralement pas de sanctions aux plus hauts dirigeants de pays avec lesquels ils entretiennent des relations diplomatiques », a justifié le département d'État.

 Le président Biden veut « recalibrer » les relations avec Riyad : il a fait savoir qu'il ne parlera personnellement qu'avec le roi Salmane et non avec son fils, interlocuteur privilégié de Donald Trump, il a mis l'accent sur les droits de l'homme, et il a stoppé le soutien américain à la coalition militaire, dirigée par les Saoudiens, qui intervient dans la guerre au Yémen. Mais il ne veut pas de crise ouverte. « La relation avec l'Arabie saoudite est importante », a dit Antony Blinken. Les mesures annoncées, « c'est vraiment pour ne pas avoir de rupture dans les relations, mais pour les recalibrer », a-t-il plaidé.

La directrice du renseignement national Avril Haines a abondé dans ce sens et déclaré que la décision de publier le rapport « n'allait pas faciliter les choses », mais que ce n'était pas « inattendu ». « Évidemment, cela va être délicat sur un certain nombre de choses », a-t-elle affirmé à la radio NPR vendredi soir, ajoutant : « Nous espérons continuer à travailler là où cela a du sens de travailler et continuer à communiquer. » Plusieurs personnalités, notamment à gauche, ont déploré cette prudence. « J'espère qu'il s'agit seulement d'un premier pas, et que le gouvernement entend prendre des mesures concrètes pour que le prince héritier (…) rende personnellement des comptes pour ce crime odieux », a ainsi déclaré le président démocrate de la commission des Affaires étrangères du Sénat américain, Bob Menendez. La rapporteure spéciale de l'ONU sur les exécutions sommaires Agnès Callamard a aussi estimé que Washington devait sanctionner MBS.

 Un État « paria »

D'autant que Joe Biden avait jugé, avant son élection en novembre, que le royaume du Golfe devait être traité comme un État « paria » pour cette affaire et que les responsables du meurtre devaient en « payer les conséquences ». Mais devenu président, il a tenté de déminer le terrain en appelant jeudi le roi Salmane. S'il a mis l'accent sur « les droits humains universels », il a aussi adressé un satisfecit au monarque pour la récente libération de plusieurs prisonniers politiques. Et il a promis d'aider Riyad à se « défendre » face aux attaques de groupes pro-Iran.

Critique du pouvoir saoudien après en avoir été proche, Jamal Khashoggi, résident aux États-Unis et chroniqueur du quotidien Washington Post, avait été assassiné le 2 octobre 2018 dans le consulat de son pays à Istanbul par un commando d'agents venus d'Arabie saoudite. Son corps, démembré, n'a jamais été retrouvé. Après avoir nié l'assassinat, Riyad avait fini par dire qu'il avait été commis par des agents saoudiens ayant agi seuls. À l'issue d'un procès opaque en Arabie saoudite, cinq Saoudiens ont été condamnés à mort et trois autres à des peines de prison, les peines capitales ont depuis été commuées.

Cette affaire a terni l'image du jeune prince héritier, véritable homme fort du royaume rapidement désigné par des responsables turcs comme le commanditaire du meurtre malgré les dénégations saoudiennes. Le Sénat des États-Unis, qui avait déjà eu accès aux conclusions du renseignement américain, avait aussi jugé dès 2018 que le prince était « responsable » du meurtre. Mais Mike Pompeo, alors secrétaire d'État de Donald Trump, avait lui affirmé que le rapport de la CIA ne contenait « aucun élément direct liant le prince héritier à l'ordre de tuer Jamal Khashoggi ».

Et l'ex-président républicain n'avait jamais voulu publier ce rapport ni blâmer publiquement Mohammed ben Salmane, pour préserver l'alliance avec Riyad, pilier de sa stratégie anti-Iran, premier exportateur mondial de pétrole brut, et gros acheteur d'armes américaines. « J'ai sauvé sa peau », a d'ailleurs reconnu, après coup, le milliardaire républicain auprès du journaliste américain Bob Woodward.

Source: LePoint.fr

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