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- Le 31 Octobre 2024
Le Syndicat national des architectes agréés algériens (Synaa) n’a eu de cesse, depuis sa création, de militer pour une valorisation de la profession en déplorant la marginalisation programmée de ce corps de métier.
Dans un document récent, le Synaa révèle que ces dernières années, sur un programme de 130 500 logements, 4% seulement des architectes ont été associés à la maîtrise d’œuvre de ce programme sur un total de 9000 architectes agréés. Le syndicat dénonce les conditions d’accès à la «concurrence dans la commande publique de maîtrise d’œuvre» tout en exigeant un «accès loyal et équitable à la concurrence, sur la base du seul critère de la qualité de l’œuvre».
Depuis sa création en 2012, le Syndicat national des architectes agréés algériens (Synaa) se bat avec acharnement pour remettre l’architecture au cœur du bâtiment et rendre au premier des arts la place qui lui sied.
Le syndicat n’a eu de cesse de déplorer la marginalisation programmée de ce corps de métier par la commande publique, quand, sous d’autres cieux, l’architecte est considéré comme le chef d’orchestre, le maestro, dans tout projet de construction. Un combat – et un débat – qui a été mené courageusement, et qui a alimenté toutes les rencontres que cette organisation professionnelle a initiées, à l’image de ses fameux Cafés de l’architecture.
Dans une «déclaration d’intention» élaborée en juin 2011, un mois après la toute première réunion du groupe d’architectes qui allait lancer le Synaa (réunion qui s’est tenue le 18 mai 2011 «autour d’un dîner convivial»), les initiateurs de ce syndicat faisaient remarquer :
«Aujourd’hui, notre pays construit beaucoup. Paradoxalement, l’exercice de notre métier n’a jamais été autant mis à mal qu’en ce temps d’effort massif de construction.» En 2016, le Synaa s’est fendu d’un document aux accents de manifeste, dont une copie a été adressée au gouvernement :
«Plaidoyer pour une politique architecturale», une réflexion qui était au cœur du premier congrès du syndicat, organisé le 23 janvier 2016 à Dar El Djazaïr, à la Safex. Le Synaa le disait haut et fort à travers son plaidoyer : «Il ne peut y avoir d’architecture sans volonté politique.» Près de dix ans après la création de cette organisation, nos amis architectes sont obligés de constater que cette «volonté politique» fait toujours défaut, et le «déni d’architecture» se poursuit avec entêtement.
Il suffit, pour s’en convaincre, disent-ils, d’éplucher cahiers des charges, conditions d’accès au marché public du bâtiment ou encore de voir les barèmes fixant les taux de rémunération des études architecturales.
Une concurrence biaisée
Dans un récent document que le syndicat nous a transmis, ce dernier explique méthodiquement, chiffres à l’appui, comment une grande majorité des 9000 architectes agréés que compte notre pays peine à se faire une place dans les structures d’études encadrant les programmes massifs de logement et d’équipement initiés par l’Etat. Sous le titre : «De l’accès à la concurrence dans la commande publique de maîtrise d’œuvre en Algérie», le Synaa relève : «Avec ses programmes importants et la mobilisation de moyens financiers colossaux pour leur réalisation, la commande publique en bâtiment aurait dû être un levier économique pour promouvoir l’architecture et la construction en Algérie, et permettre l’émergence de moyens de maîtrise d’œuvre, de réalisation et de production de matériaux de construction de niveau mondial, et garantir à terme la constitution d’une force nationale, et par-delà, l’indépendance du pays dans le domaine.»
Et de souligner : «Aujourd’hui, force est de constater que tout cet effort national, qui aurait dû constituer un tremplin pour l’acquisition d’un savoir-faire algérien favorisant l’essor économique dans le secteur du BTPH et la qualité de la production, n’aura pas rejailli sur les moyens du pays. En particulier, les programmes pharaoniques engagés depuis 20 ans dans le secteur du logement et de l’équipement, d’intérêt national mais aussi de proximité, auraient dû permettre l’émergence de structures de maîtrise d’œuvre innovantes et professionnelles, aux compétences managériales avérées, à même de répondre aux besoins nationaux à court terme, mais surtout capables de conquérir des marchés à l’international.» Or, se désole le Synaa, «notre profession, qui ne compte aujourd’hui que 9000 architectes agréés pour un territoire de 2,382 millions km², soit 2 architectes pour 10 000 habitants (pour 6 à 13 architectes pour 10 000 habitants en Europe), se trouve réduite à quémander des règles d’accès à la concurrence équitables et transparentes, afin d’assurer sa survie».
Des «disparités flagrantes»
Le syndicat a effectué un travail statistique rigoureux qui révèle : «Les données documentées, émanant des confrères sur le territoire national et des bureaux locaux de wilayas du Synaa, laissent apparaître, sur les deux dernières années (août 2018-août 2020) des disparités flagrantes quant à la répartition de la commande publique de maîtrise d’œuvre relative à la réalisation d’un programme de plus de 130 500 logements, toutes formules confondues. En effet, les quelques chiffres qui suivent donnent un aperçu de la répartition de la commande publique de maîtrise d’œuvre durant cette période. Ainsi, et de manière générale : moins de 15% des architectes inscrits à l’Ordre ont pu en bénéficier. Et dans le cadre de ce programme de logements de 16,3 milliards de dinars en honoraires de maîtrise d’œuvre, 4% seulement des architectes inscrits à l’Ordre ont pu en bénéficier. Ceci alors que 29 attributaires ont capitalisé 5,46% des projets, 50,3% du montant de la commande publique, d’une valeur de 8,137 milliards de dinars, avec des honoraires s’échelonnant entre 100 et 795 millions de dinars.»
Des données qui renseignent sur un déséquilibre patent dans l’accès à la concurrence, et qui, selon le Synaa, est la conséquence de conditions rédhibitoires qui font la part belle à la taille économique des soumissionnaires aux dépens de la qualité technique et esthétique du projet présenté. «Décriée par tous, cette inéquité flagrante n’a été rendue possible que par les restrictions à l’accès à la concurrence, imposées sous couvert d’une classification des architectes sur les bases des moyens matériels et non sur la qualité du projet architectural, ni sur la compétence, la créativité et la maîtrise», pointe le syndicat. Celui-ci exige dès lors «un accès loyal et équitable à la concurrence dans le secteur de la maîtrise d’œuvre, sur la base des seuls critères de la qualité de l’œuvre, conditions indispensables à l’émergence de la qualité en architecture».
Y a-t-il une vie après l’EPAU ?
A l’occasion d’un échange riche et passionnant avec trois membres du Synaa, en l’occurrence sa présidente, Hasna Hadjilah, Achour Mihoubi, son prédécesseur à la tête du syndicat, et l’architecte Fouad Hireche, nous avons pris davantage la mesure du mal profond qui mine la profession. Fouad Hireche résume éloquemment ce marasme dans une tribune intitulée : «De l’architecture à la… construction» Il écrit : «Ainsi donc, l’architecture, art support et texture de l’ensemble des arts, se retrouve, par érosion programmée, confinée à sa seule phase de ‘‘construction’’, chaînon quantifiable et justifiable.» Il convoque la loi de 1994 relative aux «conditions de la production architecturale et à l’exercice de la profession d’architecte», qui dispose clairement que «toute personne qui désire entreprendre une construction doit faire appel à un architecte agréé».
Celle-ci précise également que «la qualité des constructions, le respect des paysages, la préservation du patrimoine sont d’intérêt public». Dans les faits, ces belles prescriptions gravées dans le marbre, croyait-on, sont rarement traduites en actes. «La loi de 1994 a le mérite d’exister, mais elle reste insuffisante. Dans la pratique, le cadre bâti ne reflète pas cette volonté politique liée à la promulgation de cette loi. On le voit à travers la manière dont les projets sont lancés, rémunérés, et les conditions d’exercice de la profession», tempère Hasna Hadjilah. La présidente du Synaa lance, à regret : «On choisit les meilleurs étudiants pour faire architecture. Ils font des études très très dures, et à la fin, les architectes formés n’ont pas accès au marché du travail.» Les cahiers des charges régissant les marchés publics se focalisent davantage sur des critères financiers, en termes de chiffre d’affaires, de «nombre d’imprimantes», ironise Mme Hadjilah, et misent rarement sur l’innovation et l’originalité du projet.
Ce qui a pour conséquence d’exclure massivement le génie que renferme ce vivier de 9000 architectes, qui résistent vaille que vaille, la plupart exerçant dans des cabinets aux moyens limités, ne rivalisant pas avec l’ingénierie des groupements les plus nantis. «Les cahiers des charges excluent d’emblée le critère de l’art, de la compétence», appuie Fouad Hireche. «Les architectes devraient être tenus par une obligation de résultats, pas une obligation de moyens», insiste-t-il. M. Hireche observe, par ailleurs, que le terme «architecture» lui-même a disparu des avis d’appel d’offres. «Voilà qu’on ‘‘normalise’’, écrit-il, le concept d’‘‘appel d’offres pour étude pour la construction’’ en lieu et place d’‘‘appel d’offre pour étude d’architecture’’, avec toute l’approche réductrice qui en découle. Ce glissement insidieux exclut fatalement les dimensions sociales, civilisationnelles et culturelles de la conception architecturale, réduisant la concurrence aux seuls aspects ‘‘techniques’’.»
«Les taux de rémunération appauvrissent l’étude»
Achour Mihoubi évoque, pour sa part, le cas des logements AADL, et comment ce programme de masse est devenu la chasse gardée des entreprises de réalisation au détriment du génie architectural. Dans une publication sur Facebook datée du 12 mars 2021, le premier président du Conseil national de l’Ordre des architectes (CNOA) affirme : «Tebboune, durant ses deux passages au ministère de l’Habitat, a fait en sorte que le programme AADL soit du ressort exclusif des entreprises de réalisation.
Dans un premier temps, les entreprises choisies dans le cadre d’une short list ont eu à réaliser des programmes en engageant elles-mêmes les bureaux d’études suivant un cahier des charges cadenassé et des plans de cellules standard. Dans un deuxième temps, l’AADL a changé sa façon de faire en attribuant elle-même l’étude aux BET (bureaux d’études techniques, ndlr), qui sont rétribués dans le cadre d’un contrat distinct du contrat de réalisation. Dans un cas comme dans l’autre, les choix sont orientés vers une production massive de logements rétribués suivant une formule consacrant la répétitivité et l’uniformité. Cela finit par créer un rouage implacable d’une machine ventilant de l’argent de la maîtrise d’œuvre suivant une logique qui consacre une production à la chaîne du logement et fabriquant de véritables capitaines d’études de logements AADL et de logements sociaux.»
Nos hôtes dénoncent, par ailleurs, les taux de rémunération des missions d’étude et de suivi effectuées par les architectes. Des honoraires jugés dérisoires, ce qui a pour effet «d’appauvrir l’étude», dit Fouad Hireche. «Si vous voulez mettre à contribution un sociologue, un psychologue ou un autre expert pour enrichir votre étude, vous ne pouvez pas le faire», argue-t-il. Dès sa naissance, le Synaa a posé parmi ses priorités la «revalorisation de la rémunération de la maîtrise d’œuvre comme gage de la qualité architecturale». Le syndicat regrette que la «bahbouha el maliya», l’embellie financière boostée par l’euphorie pétrolière d’avant 2014, n’ait pas servi à propulser une architecture audacieuse. «En vrai, l’argent n’a pas servi à l’émanation d’un marché de l’architecture, ni à bâtir des structures d’études pérennes. La cause en est l’aveuglement d’une politique suicidaire des pouvoirs publics et leur volonté délibérée de réduire les prestations de maîtrise des études du bâtiment à des taux modiques», assène le syndicat dans une déclaration de son conseil national datée du 25 avril 2017.
Et d’ajouter : «Il est universellement admis que si ces taux venaient à être en dessous des 20% des budgets des projets, ceux-ci deviennent automatiquement des gouffres financiers, sans pour autant qu’ils aient en amont permis l’émergence de véritables structures d’études prospères à même d’absorber un chômage endémique et inquiétant des jeunes architectes confrontés à un monde de l’emploi qui leur tourne désespérément le dos. Si les architectes ne trouvent plus de travail aujourd’hui, c’est que l’Etat n’a jamais voulu rémunérer la maîtrise d’œuvre à sa juste valeur.»
Source : El Watan