Le Président français, en visite d'"amitié" de trois jours à Alger, a annoncé, jeudi, la création prochaine d'une commission mixte d'historiens sur la période coloniale française en Algérie et la guerre d'indépendance de ce pays.
Lors d'une conférence de presse conjointe avec son homologue algérien, Abdelmadjid Tebboune, après un entretien en tête-à-tête de plus de deux heures, Emmanuel Macron a déclaré que les deux Présidents ont décidé de "mandater ensemble une commission mixte d'historiens, ouvrant nos archives et permettant de regarder l'ensemble de cette période historique qui est déterminante pour nous, du début de la colonisation à la guerre de libération, sans tabou, avec une volonté de travail libre, d'accès complet à nos archives".
Notant qu'il "est impossible de se débarrasser de ce passé", le chef d'État français a, cependant, souligné qu'il est possible pour les deux pays d'en faire "un passé commun".
Emmanuel Macron a ajouté que "ce passé commun est complexe et douloureux" et qu'il "a pu parfois, empêcher de regarder l'avenir".
"Le passé, nous ne l'avons pas choisi, nous en héritons, c'est un bloc, il faut le regarder, le reconnaître, mais c'est notre responsabilité de bâtir l'avenir, pour nous-même et nos jeunesses", a-t-il estimé, soulignant que pour lui, "c'est un des objectifs essentiels de ce voyage, de ces échanges, de ce que je souhaite que nous puissions conduire ensemble, pas simplement ces jours-ci, mais pour les années qui viennent".
Mobilités et circulation pour la jeunesse
Mettant l'accent sur la jeunesse, le Président français a expliqué qu'avec son homologue algérien, il a également évoqué la question "des mobilités et de la circulation" entre les deux pays, sans citer directement la question de la délivrance des visas pour les citoyens algériens, qui a crispé les relations bilatérales au cours des années passées.
Le chef d'État français a déclaré qu'avec son homologue algérien, "nous avons pris des décisions et nous allons ensemble travailler pour pouvoir traiter des sujets les plus sensibles de sécurité, mais qui ne doivent pas empêcher de développer et de déployer une mobilité choisie pour nos artistes, nos sportifs, nos entrepreneurs, nos universitaires, nos scientifiques, nos associatifs, nos responsables politiques, permettant justement d'une rive à l'autre de la Méditerranée, de bâtir davantage de projets communs". Néanmoins, Emmanuel Macron n'a pas apporté davantage de précisions sur les décisions concrètes qui ont été prises sur le sujet.
Il a également souligné sa volonté d'établir un "pacte nouveau pour nos jeunesse" et "de [le] développer durant ces deux jours [...] sur les questions d'économie, d'innovation, de recherche, de culture, de sports, entre nos jeunesses, nos talents", réitérant la volonté commune des deux chefs d'État de "clarifier, simplifier notre cadre de mobilité [avec] des lignes claires".
Incubateur de startups et formation pour le numérique, le cinéma et les sports
Le président français a, par ailleurs, annoncé la décision commune d'avec le Président algérien d'"avancer sur les travaux pour notre industrie, notre recherche, nos hydrocarbures, nos métaux rares" et de "pouvoir avancer sur des sujets d'innovation que nos jeunesses aspirent à défricher et sur lesquelles nous souhaitons aller plus vite et plus fort", notamment dans les domaines du numérique et de la création cinématographique.
"Je souhaite que nous puissions développer ensemble un projet de création d'un incubateur de startups, agréger des soutiens du secteur privé, connecter avec d'autres incubateurs", a-t-il ajouté.
Emmanuel Macron a également exprimé sa volonté de développer "notre système entrepreneurial franco-algérien, si prometteur", notamment de "développer [...] des passerelles ; la possibilité d'avoir des formations ici [en Algérie], de les développer, mais aussi de faciliter les échanges et les créations communes entre nos deux pays, ainsi que dans toute la région".
Il a rappelé qu'il avait annoncé, lors du Forum des Mondes méditerranéens, qui s'est tenu les 7 et 8 février derniers à Marseille, "que la France appuie ce dynamisme par la création d'un fonds spécifique de soutien doté de 100 millions d'euros", exprimant son désir que "ce fonds puisse en particulier appuyer nos diasporas et nos binationaux sur les projets qu'ils auront à conduire" dans le secteur privé.
Concernant la création cinématographique, le chef d'État français a souligné sa volonté de mettre en place avec l'Algérie "des programmes et projets communs" et aider l'Algérie à développer des programmes de création cinématographique et de développement de studios, mais aussi de formations dans l'ensemble de ces métiers", arguant "qu'il n'est d'avenir que s'il y a des récits d'avenir".
Il a, par ailleurs, indiqué que "le sport est au cœur des partenariats que nous souhaitons nouer", félicitant l'Algérie pour le "succès des Jeux méditerranéens d'Oran". Le Président français a précisé que les deux pays collaboreront en termes de "formation, d'équipement, et de développement d'ambitions communes".
La lutte contre le dérèglement climatique et les pandémies
Le président français a également fait état d'une volonté commune des deux pays de développer "ce nouveau partenariat" qui intégrera "des projets de coopération dans le domaine universitaire et scientifique", annonçant la signatures de partenariats, samedi 27 août, avec l'Institut Pasteur et le CNRS pour établir des "coopérations essentielles face aux défis de demain, qu'il s'agisse des pandémies comme du défi climatique".
"Ce partenariat nouveau doit nous permettre, sur le plan scientifique et diplomatique, des initiatives communes pour œuvrer à un agenda en faveur de la lutte contre le dérèglement climatique et pour la biodiversité [...] avec la mer Méditerranée comme trésor commun [...] pour protéger mieux cet espace commun", a-t-il souligné, réitérant sa volonté d'établir un "nouveau partenariat d'avenir" entre la France et l'Algérie.
Questions relatives au Sahel
Les deux présidents ont également évoqué les questions d'ordre géopolitique, notamment les "tensions régionales trop nombreuses".
Notant que "le Sahel et la Mali sont dans les priorités de nos deux pays", le chef d'État français a tenu à saluer, l'implication personnelle de son homologue Abdelmadjid Tebboune "dans le suivi du respect de l'Accord pour la paix et la réconciliation du Mali", connu sous le nom de l'accord d'Alger.
L'accord d'Alger, négocié dans la capitale algérienne et signé dans la capitale malienne, Bamako, en juin 2015 entre la République du Mali et la Coordination des mouvements de l'Azawad (CMA), vise à mettre fin à la Guerre du Mali.
Le Président français a souligné la volonté de son pays "de renforcer notre coopération" sur la question malienne et dans "la lutte contre le terrorisme, en particulier dans le cadre de ces coopérations régionales".
Il est à rappeler que les relations diplomatiques sont tendues entre Paris et Bamako, depuis le coup d'État de 2021 au Mali, qui a mené à l'expulsion de l'ambassadeur français du Mali et au retrait forcé du dispositif Barkhane de ce pays, achevé il y a quelques jours.
La guerre en Ukraine
Les deux présidents ont également discuté de la guerre en Ukraine, le Président français évoquant "l'Ukraine qui voit sa souveraineté violée et son territoire occupé par une puissance impériale qui mène contre elle une guerre d'agression", faisant référence à la guerre en cours, lancée par la Russie dans le pays voisin, le 24 février dernier.
"L'ensemble des crises qui sont les fruits de cette guerre lancée par la Russie, qu'il s'agisse de crises humanitaires, diplomatiques, alimentaires, énergétiques, déstabilisent profondément l'ensemble de la planète et tout particulièrement le continent africain, faisant courir le risque de pénuries", a déclaré Emmanuel Macron, faisant allusion aux risques de pénuries de céréales qui ont pesé sur l'Afrique alors que la Russie empêchait l'exportation de celles-ci depuis l'Ukraine (l'un des principaux producteurs mondiaux), par les voies maritimes.
Le 22 juillet, la Türkiye, la Russie, l'Ukraine et les Nations unies ont signé le "Document d'initiative pour la sécurité de l'expédition de céréales et de denrées alimentaires depuis les ports ukrainiens" durant une réunion tenue à Istanbul.
L'accord garantit la sécurisation des exportations de céréales bloquées dans les ports ukrainiens de la mer Noire (Europe de l'Est) vers le monde.
À travers cette déclaration, le chef d'État français a également fait allusion à la volonté de la France et l'Union européenne de diversifier leurs sources d'approvisionnement en hydrocarbures (gaz naturel et pétrole), dans un contexte de tensions marquées et de sanctions réciproques entre le bloc européen et la Russie, l'un des plus grands pays exportateurs d'hydrocarbures au monde.
Il est à rappeler que l'Algérie fait partie des dix plus grands producteurs d'hydrocarbures au monde, notamment de gaz naturel.
Une visite de trois jours
Le président français, Emmanuel Macron a entamé, ce jeudi, une visite officielle de trois jours en Algérie, à l'invitation de son homologue, Abdelmadjid Tebboune.
La visite du chef d'État français, est destinée à "refonder" la relation bilatérale avec l'Algérie, selon l'Élysée, notamment à apaiser les tensions mémorielles entre les deux pays.
Il s'agit de la deuxième visite officielle d'Emmanuel Macron en Algérie, après une première visite en décembre 2017, au début de son premier quinquennat.
Cette dernière visite coïncide avec le 60e anniversaire de la fin de la guerre d'Indépendance de l'Algérie et de la proclamation de son indépendance en 1962, mais également avec l'objectif pour la France et l'Union européenne de diversifier et renforcer leurs partenariats dans l'approvisionnement en hydrocarbures, alors que la guerre en Ukraine se poursuit depuis six mois.
Selon des sources gouvernementales citées par la presse française, malgré la présence de Catherine MacGregor, directrice générale d'Engie, une des principales compagnies énergétiques françaises, aucun contrat énergétique ne devrait être signé entre les deux pays, au cours de cette visite.
Il est à noter que l'historien Benjamin Stora, fait également partie de la délégation française de 90 personnes accompagnant Emmanuel Macron lors de cette visite d'"amitié".
Stora est un spécialiste de la période coloniale française et de la guerre d'Algérie, et l'auteur d'un rapport demandé par le président Emmanuel Macron sur "la mémoire de la colonisation et de la guerre d'Algérie", en vue de favoriser "la réconciliation entre les peuples français et algérien".
Source : AA