L’oasis de Figuig fait les frais des tensions entre le Maroc et l’Algérie

Des militaires algériens ont été déployés pour bloquer les passages quotidiens des cultivateurs marocains, jusque-là tolérés malgré la fermeture de la frontière depuis 1994.

« Encore une fois, c’est nous qui payons ! » Les habitants de Figuig, oasis historique enclavée aux confins du Maroc et de l’Algérie, subissent le regain de tensions entre les deux pays, leur interdisant désormais de cultiver leurs dattes dans la zone frontalière algérienne. Mercredi 17 mars, des militaires algériens ont été déployés pour bloquer les passages quotidiens des cultivateurs marocains, jusque-là tolérés malgré la fermeture officielle de la frontière depuis 1994. Au préalable, ces cultivateurs avaient reçu un ultimatum des autorités algériennes pour évacuer les lieux.

Fréquentes, les tensions entre le Maroc et l’Algérie se sont récemment exacerbées sur le dossier du Sahara occidental, dans lequel Alger soutient les indépendantistes du Front Polisario quand Rabat, qui contrôle une grande partie du territoire, propose un plan d’autonomie sous sa souveraineté. « Ça fait trente ans que l’Algérie et le Maroc nous laissaient cultiver sans problème, et maintenant on ne sait pas à qui s’adresser », déplore auprès de l’AFP Abdelmalik Boubekri, un agriculteur contraint d’abandonner les dattiers qui font vivre sa famille depuis trois générations. Ces derniers jours, cet homme de 71 ans a défilé plusieurs fois pour protester contre cette « injustice » porteuse de « la mort de Figuig ».

Jeudi, à Figuig, une marche a mobilisé environ 4 000 personnes, selon les organisateurs – soit la moitié de la population de cette ville aux confins des montagnes de l’Atlas et du Sahara. « Tout le monde se sent lésé, l’agriculture est la seule ressource, ici il n’y a pas de travail, pas d’usines », souligne Mohamed Jabbari, 36 ans, un des « jeunes chômeurs » venus soutenir les cultivateurs « spoliés ».

« Une décision politique »

Alger a justifié la « sécurisation de la frontière » par des « manquements » dans les exploitations agricoles et par l’existence de « bandes criminelles organisées dans le trafic de drogues » – arguments vigoureusement contestés à Figuig. « Ces expulsions, c’est une décision politique », estime Mohamed El Jilali, président d’une association locale. La mesure d’Alger n’a suscité aucune réaction officielle à Rabat. Seule réponse : les autorités régionales marocaines ont organisé une réunion pour « examiner les solutions possibles pour atténuer les répercussions » de cette décision « temporaire et conjoncturelle ».

Fondé à l’époque antique des premières caravanes, l’ancien carrefour marchand avait déjà commencé à décliner avec l’instauration de la frontière, en 1845, avant de se transformer en cul-de-sac à cause des différends diplomatiques. Située à une dizaine d’heures de route de Rabat, l’oasis peine ainsi à attirer les touristes, même si la beauté de ses paysages et de son architecture la fait rêver d’un classement au patrimoine mondial de l’Unesco.

Aussi, au fil des ans, les cultivateurs sont sortis de leur périmètre historique pour planter des « extensions » dans les alentours et au-delà de l’oued, en utilisant les eaux de la nappe phréatique pour irriguer leurs cultures. Les nouvelles surfaces ont un rendement bien meilleur que les jardins traditionnels entourés de murs en adobe et irrigués par un réseau complexe de canalisations maçonnées à la main. L’extension d’Arja, la zone évacuée cette semaine, couvre environ 1 500 hectares, avec de nombreux dattiers « Aziza », une variété très recherchée.

Maisons abandonnées

Abdelmalik Boubekri dit avoir laissé derrière lui « 30 000 arbres », dont certains plantés par son grand-père. « Des années de travail » représentant selon lui une valeur de « plus de 5 millions de dirhams » (environ 500 000 euros), avec des dattes se vendant jusqu’à 150 dirhams le kilo. Comme la trentaine d’exploitants expulsés d’Arja, cet homme au visage buriné affirme disposer d’un « droit historique » sur le terrain, brandissant la photocopie d’un titre notarié manuscrit rédigé en 1939.

Ces évictions ne sont toutefois pas les premières. Déjà, en 1975, des agriculteurs de Figuig avaient dû quitter leurs cultures après un regain de tensions sur le Sahara occidental. A l’époque, lors de la « Marche verte », des dizaines de milliers de Marocains avaient investi l’ex-colonie espagnole située au nord de la Mauritanie. Après quasiment trente ans de cessez-le-feu, les tensions sur ce dossier ont ressurgi fin 2020 : le Maroc a déployé ses troupes dans la zone-tampon de Guerguerat, dans l’extrême sud du territoire, après qu’un groupe de militants sahraouis a bloqué la seule route vers la Mauritanie.

Même située à des centaines de kilomètres de là, Figuig redoute d’en faire de nouveau les frais avec les pertes des producteurs de dattes. Après les évictions de 1975, une vague d’émigration vers les grandes villes ou vers l’Europe avait déjà vidé l’oasis de la moitié de ses habitants, laissant des maisons abandonnées, des jardins en friches et des murs écroulés. Et dans les parcelles « ancestrales » situées de l’autre côté de l’oued, « tout est resté à l’abandon », déplore Rajae Boudi, descendante d’une famille « lésée ».

Source : Le Monde avec AFP

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