Le 29 janvier dernier, devant l’Assemblée nationale, le Premier ministre mauritanien Mohamed Ould Bilal, a laissé entendre que le gouvernement était ouvert à l’idée d’organiser une grande concertation nationale. Cette annonce, s’inscrit dans la continuité de la politique de dialogue mise en place le Président Mohamed Ould Ghazouani depuis son élection en 2019 dans le but d’instaurer un climat politique pacifié en Mauritanie.
« Le Président de la République est ouvert, et prêt à écouter l’ensemble des acteurs politiques. Il est prêt à engager la concertation, surtout si elle représente une doléance des élus du peuple » a déclaré le Premier ministre devant un parterre de députés. L’objectif est de créer un creuset favorable à l’échange et aux discussions sur les sujets sensibles de la société mauritanienne, notamment l’unité nationale et la question de l’esclavage. Ainsi ajoute-t-il, « cette concertation devra s’inscrire dans le cadre du renforcement de la cohésion sociale, et l’accélération du rythme du travail engagé en matière de lutte contre les séquelles de l’esclavage ».
Cette déclaration intervient en réponse aux craintes apparues concernant la concrétisation des promesses de dialogue que le nouveau président de la République avait faites durant sa campagne présidentielle. Dans un pays multiethnique longtemps désuni, cette question dialogue a souvent occupé une place centrale. Ainsi, des discussions ont démarré entre plusieurs forces vives du pays pour encadrer cette grande concertation nationale, suite logique de l’ouverture du pays sur un plan politique.
Une « normalisation de la vie publique »
Cette ouverture au dialogue est expliquée par Abdallahi Ould Hormatallah, conseiller du Président de l’Union pour la République, principal parti de la majorité : "Ce qui caractérise l’ère Ghazouani, c’est la normalisation de la vie publique, la pacification de l’exercice de la politique à travers une ouverture à toutes les composantes nationales, y compris l’opposition"
18 mois après les élections, le Président Ould Ghazouani a amorcé une politique plus ouverte que celle de son prédécesseur, dont les rapports avec ses opposants avaient été très tendus pendant 11 ans. Recevant plusieurs partis politiques et de larges segments de la société civile, le Président a affiché sa volonté de dialoguer, d’améliorer la situation du pays, et de dépoussiérer les dossiers non traités depuis longtemps, et notamment celui de l’esclavage et de l’unité nationale, dans un pays historiquement confronté aux inégalités entre ses communautés arabo-berbère et afro-mauritanienne.
Comme le rappelait Ahmed Cheikh, directeur de publication de l’hedbomadaire “Le Calame”, le « dialogue politique est une vieille et constante revendication de l’opposition » dans une Mauritanie où tous les pouvoirs ont jusque-là refusé le débat concernant des sujets de fond comme l’esclavage.
Même si des divergences de fond persistent comme c’est toujours le cas en démocratie, les partis d’opposition eux-mêmes ont reconnu la nouvelle politique d’ouverture du chef de l’Etat. Auparavant, il aurait été difficile de voir tous les partis se rassembler dans un front uni, comme cela a été le cas à dans le cadre de la lutte contre la crise de la Covid-19. Biram Dah Abeid, qui dirige l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste et qui a terminé deuxième à la dernière élection présidentielle, saluait d’ailleurs l’esprit avec lequel le Président gouverne. « J’ai constaté beaucoup de modération et de pondération » avait-il indiqué, même si des points de désaccords persistent entre les deux hommes.
Une politique en rupture avec le passé ?
Des décisions importantes ont été prises par les autorités pour lutter contre les séquelles et la réalité de l’esclavage, marquant ainsi une certaine rupture avec le régime précédent. Dès 2019, le gouvernement a annoncé la création de l’agence Taazour, symbole de cette nouvelle société voulue par le président. Pilotée directement par la présidence, cet organisme qui remplace l’ancienne agence Tadamoun, cible en priorité les personnes issues de l’esclavage et permet de suivre en temps réel les questions liées à l’exclusion. Autre mesure intéressante, la loi prise par le Parlement qui fait que les ONG ne sont plus soumises au régime de l’autorisation mais à celui de la déclaration - ce qui concerne en particulier les nombreuses ONG anti-esclavagistes du pays, dont celle de Biram Dah Abeid.
Néanmoins, malgré ces actions, plusieurs acteurs de la société civile estiment que beaucoup reste à faire. Pour certains observateurs, les actions du gouvernement restent cantonnées à l’étape de discussions avec l’opposition et il est important d’adopter des mesures encore plus fortes pour réussir à éradiquer le phénomène de l’esclavage en Mauritanie.
Quoi qu’il en soit, si elle est organisée dans les prochains mois, la grande concertation nationale doit déboucher sur des mesures concrètes. Mais en elle-même, elle est déjà un signe d’apaisement dans un pays que la désunion n’aura pas épargné depuis son indépendance en 1960.
Source : Ecofin