La flambée des prix des carburants au Maroc a ravivé une polémique sur les conflits d’intérêts entre milieux des affaires et monde politique, exposant le premier ministre Aziz Akhannouch, magnat du pétrole, à de vives critiques.
Pour la première fois depuis la guerre en Ukraine, M. Akhannouch a dû s’expliquer devant le Parlement, la semaine passée, sur la hausse brutale des prix des denrées alimentaires et des carburants (14 dirhams le litre de gazole à la pompe, soit 1,32 euro, un record face à un salaire minimum mensuel à peine supérieur à 260 euros). Au cœur du débat parlementaire : une demande de plafonnement des marges « exorbitantes » des distributeurs de carburants.
Sur la défensive, M. Akhannouch, un businessman ayant bâti sa fortune sur la distribution des hydrocarbures, a qualifié de « mensonges » les profits « énormes » dénoncés par des députés, assurant qu’ils sont « quasiment les mêmes depuis 1997 ». Si son poste n’est pas menacé, le premier ministre est sur la sellette en raison de sa double casquette de dirigeant politique et d’actionnaire principal d’Afriquia, leader sur le marché local des hydrocarbures avec Total et Shell. Sous pression, son gouvernement a débloqué une enveloppe de 200 millions d’euros en faveur des transporteurs routiers afin d’apaiser leur colère.
Des marges « excessives »
Les prix à la consommation (+ 3,3 % pour janvier et février 2022 sur un an) vont continuer de grimper à « des niveaux supérieurs à la moyenne de la dernière décennie », a averti le Haut Commissariat au plan (HCP). Résultat : le moral des ménages marocains enregistre depuis le début de l’année « son niveau le plus bas depuis 2008 », selon le HCP.
Ce n’est pas la première fois que le Maroc, dépendant des importations d’hydrocarbures, traverse pareille crise, mais jusqu’en 2015 l’Etat subventionnait l’essence et le gazole à la pompe. Gage de « paix sociale » pendant des décennies, cette subvention a été enterrée en 2015 en raison de son coût élevé pour les caisses de l’Etat. A l’époque, le gouvernement envisageait de la compenser par une aide financière mensuelle directe aux plus démunis, un soutien qui n’a jamais vu le jour.
En 2018, trois ans après la libéralisation du marché, un scandale éclate : dans un rapport parlementaire, les distributeurs de carburants sont accusés d’engranger des marges « excessives », sur fond de dénonciations de la vie chère sur les réseaux sociaux. Patron d’Afriquia et ministre de l’agriculture, Aziz Akhannouch se retrouve au banc des accusés, personnifiant la collusion entre le monde des affaires et la classe dirigeante.
Saisi de l’affaire, le Conseil de la concurrence conclut en juillet 2020 à une entente entre géants pétroliers. Des amendes tombent sur le trio Afriquia, Total et Shell à hauteur de 9 % de leurs chiffres d’affaires annuels. Mais, accusé d’irrégularités dans la procédure, le président du conseil, Driss Guerraoui, est limogé par le roi Mohammed VI. Les sanctions ne seront pas appliquées.
Raffinerie à l’arrêt
Depuis la libéralisation, les profits des distributeurs ont atteint « plus de 45 milliards de dirhams [4,25 milliards d’euros] jusqu’en 2021 », s’indigne Hussein El Yamani, délégué de la Confédération démocratique du travail (CDT).
« Qu’importe l’origine de la flambée du cours du baril – une guerre, une pénurie, une pandémie –, les distributeurs prélèvent leur bénéfice comme si de rien n’était », dénonçait récemment l’hebdomadaire TelQuel. Titrant sur « Le jeu ambigu d’Akhannouch », ce journal a illustré sa une avec deux portraits, l’un sérieux et l’autre souriant, ainsi légendés : « Chef de gouvernement passif » et « Businessman heureux ». « Le conflit d’intérêts est patent au sein du gouvernement », estime l’économiste Mohamed Benmoussa, cité par TelQuel.
L’exécutif est également critiqué pour son « incapacité » à redémarrer la seule raffinerie du royaume, implantée à Mohammedia, en liquidation depuis 2018. Pour le syndicaliste Hussein El Yamani, il faut soit la nationaliser, soit faciliter son rachat. Sa remise en marche « fera baisser les prix de plus d’un dirham le litre », plaide-t-il, étant donné que « le pétrole brut importé est moins cher [que le raffiné] et que ses capacités de stockage sont supérieures à celles des sociétés pétrolières ». Mais le gouvernement Akhannouch ne montre jusqu’à présent aucune volonté de répondre à cet appel.