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- Le 22 Novembre 2024
Les capacités de combat des forces ukrainiennes [ont] été réduites de manière importante, ce qui permet [...] de concentrer le gros des efforts sur l'objectif principal : la libération du Donbass." C'est ainsi que Sergueï Roudskoï, adjoint au chef de l'état-major russe, a annoncé, vendredi 25 mars, une réorientation des forces armées à l'est du pays, au 31e jour d'invasion de l'Ukraine.
Mais à l'instar du nombre de morts affiché par Moscou - 1 351 et 3 825 blessés, bien moins que les chiffres avancés par les renseignements américains ou les autorités ukrainiennes -, "il n'est pas du tout sûr qu'il faille prendre au pied de la lettre ce que l'armée russe nous dit", assure François Heisbourg, président de l'International Institute for Strategic Studies (IISS) et conseiller spécial pour la Fondation de la recherche stratégique (FRS).
Que nous dit cette déclaration de la stratégie actuelle de la Russie ?
François Heisbourg : Dans cette déclaration du ministère russe de la Défense, il est question de deux phases. Cela nous dit que la phase une s'est terminée, essentiellement sur un succès puisque la Russie n'a jamais eu l'intention de prendre les villes de Kiev, de Kharkiv... Cela oblige à s'interroger sur la signification de la phase deux. Si la communication de la phase une est du bullshit [NDLR : "foutaises", argot américain], ce qu'elle est, évidemment, il faut d'abord savoir si la description de la phase deux ne l'est pas aussi. C'est la première précaution à prendre.
Mais que cela pourrait-il signifier dans la pratique, sur le terrain ?
Premièrement, la Russie déclare forfait sur ses opérations sur la plus grande partie du territoire dans laquelle elle opérait jusqu'à présent. C'est en soi une information. Deuxièmement, pour pouvoir se concentrer sur le Donbass, il faut avoir de quoi concentrer. Encore une fois, il n'est pas du tout sûr qu'il faille prendre au pied de la lettre ce que l'armée russe nous dit.
Aujourd'hui, il y a, comme partout ailleurs, des combats intenses dans la région du Donbass. La progression russe a été limitée à partir des premiers jours de l'invasion. Dans les derniers, il y a eu des tentatives très fortes de prendre la ville d'Izioum [NDLR : une ville de l'oblast de Kharkiv], un carrefour stratégique. Mais à en croire les images qu'on reçoit de là-bas, les troupes russes se sont fait étriller.
Quelles sont les forces ukrainiennes dans cette région ?
Le dispositif autour des parties du Donbass occupées depuis 2014 est pour l'essentiel intact. Certaines des meilleures forces ukrainiennes y sont concentrées. Le terrain a été aménagé, c'est la guerre des tranchées. Il est donc un peu compliqué pour les Russes, dans l'état où ils sont, de mener une guerre efficace contre un ennemi entraîné et motivé. Pour faire quelque chose de nouveau dans le Donbass, il faut y amener des troupes, qui sont du côté de Kiev, de Kharkiv, de Kherson... A Kherson, elles ne sont pas vraiment en état d'aller où que ce soit, les Ukrainiens faisant une contre-offensive. Et tout ce monde est à court de munitions, de carburant, de vivres. Je ne sais pas comment ils pourraient arriver dans le Donbass.
Je ne sais si cette phase deux est une façon de réduire le rythme des opérations au niveau où elles étaient en 2014 - un statu quo ou quelque chose y ressemblant -, ou si cela veut dire qu'ils vont réellement tenter une opération à laquelle beaucoup d'analystes s'attendaient au début de la guerre, c'est-à-dire un encerclement des troupes ukrainiennes qui sont stationnées autour des deux prétendues républiques séparatistes. Que peuvent faire les Russes pour donner corps à une phase deux qui, à certains égards, serait plus difficile à mener que la phase une ?
Dans le Donbass, on a affaire à des soldats ukrainiens qui se battent depuis huit ans. Ils sont vraisemblablement plus difficiles à gérer que des personnes de la milice territoriale qui arrivent après trois jours d'apprentissage du maniement des armes. Je prends donc l'annonce de cette phase deux comme un élément de communication. On peut seulement en déduire que le ministère des forces russes prend acte du fait que ses troupes n'avancent plus nulle part.
Est-ce aussi une manière de se réorienter pour assurer la continuité territoriale entre la Crimée et la Russie, voulue par Poutine ?
Mais ce n'est pas ce que les Russes disent, que l'effort est concentré sur la Tauride - le nom grec donné à ce territoire entre la Crimée et le Donbass, que les Russes appellent Novorossia ("Nouvelle Russie") -, où se trouve la ville de Marioupol, à la jonction des deux. Je n'exclus pas du tout qu'ils le fassent, mais ce n'est pas ce qui est déclaré. Les Russes disent se concentrer sur le Donbass. Aujourd'hui, ils occupent très largement l'oblast de Donetsk. Il n'y a, là, pas grand-chose à démontrer. Il reste en revanche un gros morceau à prendre dans l'oblast de Lougansk.
Le but stratégique est a priori l'encerclement des 40 000 soldats ukrainiens qui y sont positionnés. Il s'agit d'une opération dont le but est militaire plutôt que territorial. Contrairement à la prise de la bande de terre de la Tauride, qui serait un but territorial. Les Russes l'ont poursuivi et ils pourraient, le cas échéant, continuer de le poursuivre. Mais on voit bien qu'à un bout de la chaîne, à Kherson, cela ne se passe pas bien pour eux. A Berdiansk, dans le sud-est de l'Ukraine, la marine russe s'est fait décimer la moitié de sa capacité de transport amphibie. La bande côtière est visiblement tenue de façon peu dense. Il reste Marioupol : selon le communiqué russe, sa "libération" n'a pas eu lieu. Ils prendront peut-être Marioupol, mais dans un état tel que je ne vois pas bien ce qu'ils pourraient en faire.
Source: L'Express