Algérie : l’agenda politique de Tebboune tangue entre l’urne et la rue

Le déphasage entre le « dégagisme » du hirak et la feuille de route des autorités risque de s’aggraver à l’approche des législatives anticipées.

« Pas d'élections avec les gangs ! » Lors du vendredi 12 mars, des manifestants dans plusieurs villes du pays ont rejeté l'annonce faite par le président Abdelmadjid Tebboune appelant, la veille, à des législatives anticipées pour le 12 juin prochain. Cette annonce a été accompagnée par la promulgation du nouveau Code électoral. Pour rappel, le Parlement a été dissous le 1er mars dernier.

Ces législatives sont présentées par les autorités comme la suite de la reconstruction institutionnelle après le séisme politique provoqué par le hirak populaire du 22 février 2019 qui a emporté le régime Bouteflika.

Le Parlement hérité des années Bouteflika était décrié comme issu de la fraude électorale, basée sur l'achat des sièges. Plusieurs ex-hauts responsables, notamment du parti majoritaire, le FLN, sont poursuivis pour des affaires de corruption politique. 

Double défi

Le défi pour le président Tebboune est double. Tout d'abord, comment aller à des législatives sans appareil partisan qui le soutienne, ayant coupé les ponts avec son parti, un FLN stigmatisé et alourdi par le catastrophique legs bouteflikien ? D'autant que la nouvelle Constitution, amendée en novembre 2020, permet à l'opposition, si elle s'approprie une majorité parlementaire, de désigner un chef de gouvernement issu de ses rangs.

L'autre défi reste la rue, qui a relancé les manifestations du hirak depuis le 22 février dernier, deuxième anniversaire des manifestations de 2019.

Pour le premier défi, les autorités, comme le souligne une analyse du quotidien El Khabar, semblent avoir adopté une démarche proche du schéma macronien en France, en tentant de dépasser les clivages partisans et en s'appuyant sur la société civile.

« Cette logique aurait pu être acceptable si l'Algérie avait réellement une base d'organisations de la société civile qui pourrait jouer ce rôle. » Le quotidien s'inquiète du refus des autorités d'agréer de nouveaux partis alors que l'on assiste, selon El Khabar, à une « naissance par césarienne » de toute une nouvelle société civile avec la poussée de créations d'associations ces derniers mois. 

Le pari sur la « société civile »

Beaucoup d'observateurs ont d'ailleurs fait un rapprochement immédiat entre la naissance, début mars, d'une « coalition d'associations », baptisée « Nida el watan » (l'appel de la patrie), la présence d'un conseiller de la présidence à la cérémonie de création de cette instance et le discours du président Tebboune, depuis sa campagne électorale, insistant sur le fait que sa seule base politique reste la société civile.

Nida el watan serait-il l'esquisse d'une majorité présidentielle qui devra s'imposer devant les traditionnels partis du régime, comme le FLN ou le RND ? « Nous n'avons pas l'intention de faire de la politique. Mais Nida el watan soutiendra toutes les listes électorales qui le méritent à l'occasion de la prochaine élection législative. De plus, les membres de notre coalition qui souhaitent se porter candidats ont le droit de le faire, c'est un droit constitutionnel. La société civile doit pouvoir, à travers ses élus, participer à l'élaboration des lois », a soutenu Mustapha Zebdi, membre fondateur de Nida el watan et président de l'Association algérienne de protection et d'orientation du consommateur et de son environnement.

L'idée est que le pouvoir en place puisse s'appuyer sur des listes indépendantes et de jeunes candidats pour « créer une nouvelle classe politique qui reflète la réalité de la société et non pas celle des idéologies dépassées par le réel », affirme une source officielle. 

Une élection face à la crise

Ce n'est pas l'avis de certains opposants, comme l'islamiste Abderazak Makri, président du MSP (tendance Frères musulmans), qui prévient contre la « fabrication d'un paysage politique et social vertical ainsi que la politique du fait accompli ».

« On verra bien qui représente réellement l'écrasante majorité de la population qui est jeune, qui représente vraiment le petit commerçant ou la femme au foyer, qui écoute la rue et qui, au contraire, se maintient dans la posture de l'opposant de salon », contre-attaque un cadre de l'État, ancien élu FLN.

Côté opposition de gauche, la critique du pouvoir et de sa démarche est sans appel. « La prochaine élection législative réglera-t-elle le problème de représentation politique du peuple qui lui est déniée depuis 1962 ? Les prochaines élections règleront-elles la crise multidimensionnelle que vit le pays ? Règleront-elles la crise politique latente du régime ? » a déclaré la leader du Parti des travailleurs (trotskyste) Louisa Hanoune.

Une des manifestations de cette crise reste la poursuite des marches les vendredis et les mardis. Comment convaincre les manifestants du bien-fondé de l'agenda électoral tracé par les autorités ? Pour le commentateur du site TSA, « le retour en force du hirak et le maintien du cap du refus systématique de toutes les initiatives du pouvoir laissent peu de doute quant à la réédition des scénarios de la présidentielle et du référendum constitutionnel en termes de participation et d'atmosphère générale de rejet. Les mêmes causes ne pouvant engendrer que les mêmes effets, il n'est pas exclu de se retrouver le 13 juin avec une assemblée certes nouvelle, mais pas plus légitime aux yeux d'une partie de la population que celle qu'elle viendra remplacer ».

Mais le hirak lui-même semble en crise, car à défaut d'un projet politique clair au-delà du « dégagisme » ambiant, les craintes se multiplient sur l'entrisme des islamistes et de leurs slogans quasi insurrectionnels qui parasitent les marches du vendredi et du mardi. L'éditorialiste de Liberté, Mustapha Hammouche, évoque clairement « l'offensive de banalisation de la communication islamiste entamée bien avant le retour du hirak dans la rue », et parle d'une « entreprise structurée d'islamisation rampante du discours du hirak ».

D'où, selon l'éditorial d'El Watan, la nécessité de « la réhabilitation du politique » : « La disqualification du pouvoir en place est largement admise, mais son impasse notoire risque de se dédoubler et de se manifester dans la rue qui gagne en ébullition et multiplie les embardées. »

Source : Le Point

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