Liban: Réouverture des négociations avec le FMI, seule issue possible à la débâcle économique


Les négociations avec le Fonds monétaire interational, interrompues à l’été 2020, sont la seule issue possible à la crise qui ravage le pays du Cèdre.

Il aura fallu la descente aux abîmes du Liban pour ramener ses responsables politiques à la table des négociations. Après que les divisions de l’oligarchie politico-financière sur le montant des pertes du secteur financier ont fait capoter les discussions avec le Fonds monétaire international (FMI) à l’été 2020, celles-ci ont pu enfin reprendre. Lundi 24 janvier, la délégation libanaise a entamé des pourparlers avec l’institution financière, en mode virtuel – Covid-19 oblige –, sur un plan de sauvetage économique et financier du pays du Cèdre, condition à l’obtention d’un prêt.

« C’est une route obligatoire pour résoudre la crise qui est devenue multidimensionnelle. Tout le monde est convaincu qu’il n’y a pas d’alternative », assure le vice-premier ministre, Saadé Chami, un technocrate venu du FMI et placé à la tête de la délégation libanaise en septembre 2021. Le gouvernement de Najib Mikati espère parvenir à un accord avec l’institution avant les élections législatives, prévues en mai, pour obtenir un prêt d’au moins 4 milliards de dollars (soit 3,5 milliards d’euros), ainsi que le déblocage des 11 milliards de dollars d’aide promis à la conférence Cedre organisée à Paris, en avril 2018.

« Le retour de la confiance et un apport frais en devises de 12 milliards à 15 milliards de dollars peuvent permettre à l’économie de renouer avec la croissance », estime Riad Salamé, le gouverneur de la Banque du Liban (BDL), qui malgré les enquêtes ouvertes contre lui au Liban et en Europe, pour détournement de fonds et blanchiment, est partie prenante aux négociations. Après s’être opposé – avec l’Association des banques et des chefs de parti – au plan qu’avait élaboré, en avril 2020, le gouvernement d’Hassan Diab, et que le FMI avait endossé, il assure être aujourd’hui sur la même longueur d’ondes que le gouvernement. « Nous n’étions pas contre un accord avec le FMI, c’était notre droit de négocier les chiffres », justifie-t-il.

Plan de sauvetage

C’est pourtant bien l’estimation du plan Diab de 68 milliards de dollars de pertes, cumulées entre la BDL et les banques, qu’ont finalement actée, en décembre, le gouvernement Mikati et la BDL, permettant que s’ouvrent enfin les négociations. « Ils ont gagné du temps pour que chacun arrange ses affaires sur le dos de la population, déplore Alain Bifani, un ancien directeur général du ministère des finances qui a participé à l’élaboration du plan Diab. Ce sont les gens qui assument ces pertes et sont aujourd’hui laminés par la perte de leur pouvoir d’achat et de leurs dépôts bancaires. »

Deux ans après le début de la crise, le PIB du Liban est passé de 55 milliards de dollars à 20 milliards de dollars en 2021. La livre libanaise (LL), monnaie nationale, a perdu 90 % de sa valeur et les prix ont été multipliés par sept. Les subventions sur les biens de première nécessité ont été partiellement levées à l’automne ; la BDL, à court de devises, n’étant plus en mesure de financer leur importation. Plus de 78 % de la population est tombée dans la pauvreté, selon les Nations unies.

Le détail du plan de sauvetage élaboré par le gouvernement Mikati n’a pas été dévoilé. Redressement des finances publiques et de la dette, qui frôle les 100 milliards de dollars, restructuration du secteur financier et réformes structurelles : les discussions peuvent encore achopper sur de nombreux points, dans un contexte politique envenimé par l’approche des élections. Le projet de loi de finances 2022 est présenté comme une base de travail, qui sera débattue dès mardi en conseil des ministres, réuni après trois mois de blocage par le tandem chiite Hezbollah-Amal.

Sous le feu des critiques

Le texte, qui prévoit un déficit de 30 % et peu de réformes substantielles, est sous le feu des critiques. « On aura un budget qui ne sera pas très déficitaire, assure Saadé Chami. On va essayer d’avoir un budget qui peut être financé d’une manière non inflationniste. On compte sur la Banque mondiale et les autres bailleurs de fonds, y compris les institutions multinationales. » Le négociateur en chef promet des mesures pour augmenter les salaires de la fonction publique, rognés par la crise, et éviter « autant que possible l’introduction de nouveaux impôts, au moins cette année ».

« Ce projet de loi n’offre aucune ébauche de solution. Soyons sérieux ! Face à une telle situation, on devrait parler de pouvoir d’achat, de relance et de filets sociaux, or, rien n’est fait dans ces trois domaines », déplore Alain Bifani, qui stigmatise un plan minimaliste qui consoliderait le système en place. Le Liban ne pourra pas faire l’économie d’un rééquilibrage budgétaire drastique et de réformes structurelles, notamment dans le secteur de l’électricité. « Le FMI préconise une amélioration de la collecte fiscale, l’augmentation des impôts directs plutôt qu’indirects et le développement du filet de protection sociale », selon un expert étranger.

« Le minimum serait d’avoir un taux de change cohérent, là encore on botte en touche », ajoute M. Bifani. Le gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, assure que l’unification des taux de change n’est pas envisageable avant un accord. Le projet de budget est basé sur un taux de change oscillant entre 15 000 et 20 000 LL. Depuis décembre, la BDL intervient massivement en alimentant les banques en dollars pour renforcer la livre et l’approcher de cette fourchette.

« Savoir qui a profité du crime »

Sur le dossier le plus épineux, la restructuration du secteur financier, le FMI pourrait ne pas faire de l’audit juriscomptable des comptes et transactions de la BDL un préalable. « La BDL n’en veut pas et il n’est pas forcément nécessaire à un accord. Mais il faut savoir qui a profité du crime après un désastre financier aussi énorme », estime l’expert étranger.

Le gouvernement assure qu’il protégera les déposants les plus vulnérables. Cela suppose un ordre de priorité clair, estime Albert Kostanian, le président de l’organisation proréformes Kulluna Irada, dans l’imputation des pertes : « D’abord les actionnaires des banques, les dividendes payés avec l’argent public par le fait des ingénieries financières de la BDL, les intérêts des déposants qui étaient excessifs et, enfin, la lirafication des dépôts au-delà d’un seuil. »

« Les actionnaires des banques paieront, pas l’Etat », assure Riad Salamé, en écho à une exigence du FMI. Le gouverneur de la BDL préconise « un peu de tout : une partie en bail-in (renflouement interne), une partie en remboursements échelonnés aux déposants et une partie en lirafication » des dépôts en dollars. « L’objectif est que de chaque banque existante naisse une banque qui fasse du crédit », poursuit M. Salamé, admettant qu’« il y aura de la casse sûrement » parmi les banques.

Source: Le Monde

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