Crise en Ukraine : les Etats-Unis appellent les Européens à serrer les rangs

Le président américain Joe Biden s’est entretenu avec les principaux dirigeants européens pour tenter de désarmorcer les divisions parmi ses alliés, tiraillés entre surenchère et volonté d’apaisement envers Moscou.


Après quelques jours de flottement sur ses intentions, Joe Biden a tenté de frapper fort, lundi 24 janvier, afin de resserrer les rangs du camp occidental face à la Russie. Tandis que la menace d’une invasion de l’Ukraine rend ses alliés fébriles, le président américain s’est entretenu dans la soirée avec les principaux dirigeants européens, peu après que le Pentagone a annoncé sa décision de placer 8 500 hommes en état d’alerte, prêts à être déployés sur le territoire européen dans le cadre de la force de réaction rapide de l’OTAN.

Depuis la « Situation Room » (salle de crise) de la Maison Blanche, le président américain a joint la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, le président du Conseil, Charles Michel, le président français, Emmanuel Macron, le chancelier allemand, Olaf Scholz, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, le président polonais, Andrzej Duda, et le premier ministre britannique, Boris Johnson. Un format inédit depuis le début de la crise, qui en dit long sur l’urgence de parler d’une seule voix. A l’issue de la réunion, les uns et les autres ont célébré leur unité face à Vladimir Poutine. Selon un communiqué de la Maison Blanche, ils ont « souligné leur désir commun d’une résolution diplomatique », mais aussi évoqué leurs « préparatifs en vue d’imposer des conséquences massives et des coûts économiques sévères à la Russie » en cas d’invasion.

La ligne de crête est cependant étroite pour les Occidentaux, alors que les Etats-Unis ont convenu de répondre cette semaine par écrit à la Russie, afin de tenter de prolonger les discussions ouvertes voici deux semaines, sans aucune percée à ce stade. Emmanuel Macron en tête, les Européens espèrent peser sur la réponse américaine pour faire valoir leurs points de vue, non seulement sur l’Ukraine, mais aussi sur la sécurité continentale. Tous convergent pour rejeter l’essentiel des demandes formulées par la Russie, en particulier au sujet du gel de l’élargissement de l’OTAN. Mais les capitales européennes semblent parfois diverger sur la meilleure façon de procéder dans l’espoir de dissuader le Kremlin, dont les intentions demeurent floues, d’attaquer une nouvelle fois l’Ukraine.

Etats baltes et Pologne à cran

Dans la matinée de lundi, l’annonce de l’évacuation d’une partie du personnel diplomatique américain de Kiev avait échauffé les esprits, relançant la perspective d’une attaque imminente de l’Ukraine par les troupes russes massées à ses frontières. Le Royaume-Uni a fait de même. A Kiev, la décision d’évacuer les familles des diplomates américains et britanniques a été jugée « prématurée » et « excessive ». Il n’y a eu « aucun changement significatif dans la situation sécuritaire récemment », a argué lundi Oleg Nikolenko, porte-parole du ministère ukrainien des affaires étrangères.

En réalité, la nervosité semble avoir gagné une partie du continent, les Etats baltes et le Royaume-Uni se livrant à une sorte de surenchère. Englué dans le scandale des fêtes tenues à Downing Street en plein confinement, le premier ministre Boris Johnson s’était montré plutôt discret sur la crise ukrainienne ces dernières semaines. Lundi, il a semblé vouloir rattraper son retard, en des termes alarmistes : « Une invasion russe de l’Ukraine serait douloureuse, violente et sanglante, a prévenu le premier ministre en marge d’une visite dans un hôpital. Les citoyens de Russie doivent comprendre que cela pourrait être une nouvelle Tchétchénie [un bourbier pour Moscou]. » Il a aussi mis en garde contre la possibilité d’une « guerre éclair » russe en Ukraine : « Nous devons être très clairs avec le Kremlin : une telle action serait désastreuse. »

Les pays en première ligne face à la Russie, comme les Etats baltes ou la Pologne, sont également à cran. Pour eux, il s’agit de se préparer à une attaque en musclant autant que possible la présence de l’OTAN sur son flanc Est, voire en livrant des armes aux autorités ukrainiennes, comme le fait le Royaume-Uni. Ils se veulent d’autant plus vigilants qu’ils se méfient de la posture de Joe Biden. Si elle a été vite rectifiée, la récente « gaffe » de ce dernier, semblant modérer l’éventuelle riposte occidentale en cas d’incursion limitée de la Russie en Ukraine, a fait l’effet d’une bombe à Kiev, comme dans les capitales de l’Est du continent. Il leur est difficile d’imaginer poursuivre le dialogue sans un premier geste de désescalade de la part de Valdimir Poutine. Afin de les rassurer, l’OTAN, et certains Etats comme la France et l’Espagne, ont promis d’accroître leur engagement dans la région.

« Evitons les réactions alarmistes »

Le chancelier allemand, Olaf Scholz, et Emmanuel Macron devaient aborder la question, mardi soir, lors d’une rencontre à Berlin. S’ils brandissent la menace de sanctions pour dissuader Moscou de toute nouvelle atteinte au territoire ukrainien, les deux hommes estiment, au fond, que la négociation doit encore être privilégiée à ce stade. Lors de la conversation avec M. Biden, le président français a ainsi souligné la « nécessité d’œuvrer collectivement à une désescalade rapide ». Pour lui, cela doit passer par « des mises en garde crédibles à l’égard de la Russie », mais aussi par un « dialogue renforcé » avec elle. Le diplomate Pierre Vimont, qui conseille l’Elysée sur la Russie, a été envoyé à Moscou pour préparer les échanges et un prochain appel entre M. Macron et M. Poutine.

D’ici là, une réunion des conseillers diplomatiques du format Normandie (Russie, Ukraine, Allemagne et France) est prévue mercredi à l’Elysée. En prélude, Kiev doit annuler le projet de loi dit « de transition », considéré comme non conforme aux accords de Minsk. Ce texte, préparé à l’été 2021, porte sur la « période de transition » au Donbass, territoire séparatiste dans l’est de l’Ukraine, et en Crimée, annexée par la Russie en 2014, jusqu’à leur « réintégration » à l’Ukraine. Il reconnaît la Russie comme « Etat agresseur et Etat occupant », ce que Moscou rejette catégoriquement. Après des mois de blocage, rien ne dit à ce stade que Moscou acceptera la relance de ces tractations. Mais, vu de Paris, la relance du format Normandie enverrait un premier signal encourageant.

« Nous connaissons les menaces, mais certains veulent jouer avec nos nerfs. Evitons les réactions alarmistes », a souligné le haut représentant de l’Union pour la politique étrangère, Josep Borrell, à l’issue d’une réunion des ministres des affaires étrangères de l’Union européenne (UE) à Bruxelles. A ce stade, les Européens s’en tiennent donc, après un échange en visioconférence avec le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, à l’idée que les efforts diplomatiques doivent être poursuivis à tous les niveaux, qu’il convient d’œuvrer à la résilience de l’Ukraine et de mettre au point un plan de sanctions « massif » en cas d’agression militaire russe. Kiev se voit promettre une aide d’urgence de 1,2 milliard d’euros, 35 millions d’euros d’aide logistique pour son armée, et la perspective d’une mission de formation de ses troupes.

Risque de divisions croissantes

Quant au plan de sanctions, objet de multiples tractations avec Washington, il serait « bien avancé », ont fait valoir les ministres des Vingt-Sept. Cette affirmation floue permet de masquer les évidentes divergences entre des Etats membres qui ne partagent pas les mêmes intérêts politiques, économiques ou énergétiques vis-à-vis de la Russie. Et qui se divisent aussi sur les livraisons d’armes à l’Ukraine ou la nécessité de maintenir un « canal de dialogue » direct avec le Kremlin.

Le risque de divisions croissantes en Europe inquiète en Ukraine. Le chef de l’Etat, Volodymyr Zelensky, a appelé lundi l’UE à « préserver [son] unité » face à la Russie. Kiev est particulièrement agacé par le refus persistant de l’Allemagne de lui livrer des armes, ce qui revient, selon elle, à « encourager » Moscou. « Aux yeux des Ukrainiens, l’Allemagne devient de plus en plus le complice de l’agresseur » russe et « c’est une vraie catastrophe » pour les relations avec Berlin, résume l’influent site Web Evropeïska Pradva, spécialisé dans la politique internationale, dans une tribune.

Pourtant, Kiev se méfie de toute surenchère. « L’Ukraine ne cédera pas aux provocations mais, au contraire, gardera son calme avec ses partenaires », a assuré le chef de l’Etat. Quelques heures plus tard, M. Zelensky s’est néanmoins montré plus inquiet : « Nous avons appris à contenir les menaces extérieures. Il est temps que nous débutions des actions offensives visant à garantir nos intérêts nationaux. »

Source: Le Monde

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