Algérie : Le Hirak s’attache au « changement radical » et Tebboune tient à sa « feuille de route »

La décision de Tebboune de dissoudre la Chambre basse du Parlement coïncide avec le 2e anniversaire du début des marches populaires pacifiques, enclenchées le 22 février 2019, rejetant la candidature de Abdelaziz Bouteflika, pour un 5e mandat.

Le Hirak populaire a investi à nouveau les rues d'Algérie pour exercer une pression en vue d'obtenir un changement radical du Régime, tandis que le président Abdelmajid Tebboune se dirige vers des élections législatives anticipées, allant de l'avant sur la voie de la réalisation de la « Feuille de route politique » annoncée lors de sa campagne électorale.

La tenue de ces élections a été officiellement confirmée pour le mois de juin prochain, après la publication au Journal officiel, le 1er mars courant, d'un décret-loi portant dissolution de l'Assemblée Populaire Nationale (APN, Chambre basse du Parlement), élue lors de l'ancien régime.

L'article 151 de la Constitution algérienne prévoit l'organisation d'élections, dans un délai maximum de trois mois, après la dissolution de l’APN et ce délai peut être reconduit en cas d'incapacité à tenir le scrutin, après avis de la Cour constitutionnelle.

La décision de Tebboune de dissoudre la Chambre basse du Parlement coïncide avec le deuxième anniversaire du début des marches populaires pacifiques, enclenchées le 22 février 2019, rejetant la candidature du président de l'époque, Abdelaziz Bouteflika, pour un cinquième mandat.


Ces manifestations avaient contraint, le 2 avril de la même année, Bouteflika à démissionner de son poste, après 20 ans à la tête du pouvoir (1999-2019).

A l'occasion du deuxième anniversaire du Hirak, et lors du vendredi qui l’a suivi (Journée habituelle des grandes marches), des milliers d'Algériens ont participé à des protestations, scandant des slogans appelant à un changement radical et global du régime en place, et rejetant les opérations de « réforme » de ce régime.


Ces marches ont été qualifiées de « Hirak 2 », ce qui constitue un prolongement du Hirak populaire, suspendu l'année dernière, à cause de la propagation de la pandémie de la Covid-19.


Le Hirak populaire est traversé par deux courants. Le premier revendique la suppression de toutes les institutions et la mise en place d'une Assemblée constituante qui sera chargée d’élaborer une nouvelle Loi fondamentale, avant de se diriger vers des scrutins présidentiel et législatif.

Le deuxième courant, quant à lui, réclame un changement radical, consistant seulement en un gouvernement et une Commission électorale consensuels. Cette dernière superviserait de nouvelles élections, un préalable pour procéder à de profondes réformes.
Le régime et la majorité de la classe politique rejettent la première option, qu'ils considèrent comme étant un danger menaçant le pays. Le pouvoir algérien dit travailler pour mettre en œuvre la deuxième approche, à condition d’assurer l'adhésion de tous au dialogue et aux réformes.

Le Hirak original


En guise de premier commentaire de la reprise des marches du Hirak populaire, le président algérien a estimé que « cela ne le dérange pas et ne constitue pas une source d’inquiétude ».

Dans une interview accordée, lundi, aux représentants de la presse nationale, Tebboune a estimé qu’il « a ceux qui sont sortis pour rappeler les revendications et ceux qui sont sortis pour d'autres motifs ».
Il a affirmé « qu'il tient toujours sa parole s’agissant du changement institutionnel du régime en place quel que soit le prix ».

Le président algérien a mis l'accent, dans ce cadre, sur son « engagement à respecter les 10 millions d’électeurs qui sont allés aux urnes, le 12 décembre 2019, pour sauver la République », dans une allusion à l'élection présidentielle qu'il a remportée.

Tebboun a souligné que « la majorité des revendications du Hirak original béni a été exaucée, partant de l'interdiction du cinquième mandat jusqu’à la lutte contre la corruption ».

« Le peuple a opté pour le changement institutionnel, au détriment de la phase transitoire, synonyme de la mise en place d'une Assemblée Constituante, et s'est dirigé vers le vote pour sortir de la crise », a-t-il insisté.

La majorité silencieuse

Le président algérien a affirmé son attachement à l'option d'élections anticipées pour renouveler les conseils élus.

Il a appelé les manifestants du Hirak à « se porter candidats lors des prochains scrutins et à confirmer leur capacité à représenter le peuple après l'avoir convaincu, tout en œuvrant à contrôler et à demander des comptes au gouvernement, dans le cadre de la loi et en toute immunité ».


Depuis son élection, Tebboune a proposé une feuille de route émaillé de grands ateliers politiques.

Cette feuille de route prévoit l'amendement de la Constitution et de la Loi électorale, la dissolution des institutions élues, en particulier la chambre basse du Parlement, compte tenu des liens tissés avec la corruption et l'argent sale lors du mandat de Bouteflika, et enfin l'organisation d'élections anticipées.


Tebboune a évoqué « ceux qui ont choisi de se diriger aux urnes lors de la dernière présidentielle (10 millions d’électeurs) ainsi que 8,5 millions de personnes, qui étaient marginalisées et privées de développement, à qui personne n’a prêté d’attention au cours des décennies écoulées ».


« C'est cette majorité silencieuse avec qui je m'engage, les droits de la minorité demeurent préservés et intacts mais, c'est la majorité qui décide », a-t-il dit.
Tebboune a donné l'impression qu'il ne ressent aucune pression qui le pousserait à marquer une pause ou à se rétracter de la mise en œuvre de sa feuille de route en raison de la reprise des marches du Hirak.

Soutien partisan


Le journaliste Othmèn Lahyeni a souligné que « le paysage politique en Algérie sera dirigé, à court terme, par les conditions entourant le processus électoral mais que cela dépasserait le seul jour du vote ».

Il a ajouté que « le président Tebboun est scrupuleusement attaché à la feuille de route et aux élections anticipées et il semblerait qu’il ne reculera pas là-dessus ».


Et le journaliste de poursuivre : « Tebboun a relativement réussi à convaincre quelques partis d'opposition qui disposent d'un crédit certain, en termes de militantisme historique et de défense de la démocratie. Il s'agit ici du Front des Forces socialistes (FFS) et du Mouvement pour la Société de la Paix (MSP)».


Immédiatement après son retour d'un séjour de soins médicaux en Allemagne, Tebboun a reçu les dirigeants du FFS (le plus ancien parti d'opposition en Algérie) et du MSP (principal parti d'obédience islamique).

Abdelaziz Makri, président du MSP, a déclaré, à ce sujet : « je crois Tebboun quand il s'est engagé à organiser des élections législatives anticipées transparentes, jusqu’à preuve du contraire ». Makri s’est également attaqué au courant laïc qui, selon lui, « refuse les urnes étant convaincu qu'il ne dispose pas de chances de gagner ».


Lahyeni a considéré « la participation de deux partis, forts de leurs poids et réputations, aux prochaines législatives constituera un appui fondamental pour conférer de la crédibilité à ces élections, que ce soit sur le plan local ou international ».

Des élections mécaniques

Selon Lahyeni, il « faudrait bien mettre un point final à la crise politique qui perdure en Algérie, que ce soit par l’entremise du dialogue qui aboutira à un consensus national, ou via les élections ».

Et le journaliste de s'interroger : « est-ce que les prochaines élections constitueront une solution effective ou une simple opération de vote mécanique ? ».


« Les élections ne se limitent pas au jour du vote uniquement. Il s'agit d'un processus entier qui doit se dérouler avec des garanties de transparence, de chances équitables, du droit à l'organisation à ceux qui veulent lancer des partis politiques, du droit à la liberté de la presse et du droit à manifester, tout en évitant scrupuleusement d'exclure l'opposition des champs médiatiques », a-t-il insisté.


Il a affirmé que « la réunion de ces conditions contribuera à faire des prochaines élections une solution globale et inclusive ».

Lahyeni a estimé, cependant, que « ces conditions sont inexistantes actuellement », attestant cela par le refus essuyé par 10 demandes de formation de partis issus des jeunes du Hirak.


Il a considéré que « le maintien des conditions actuelles fera des prochaines échéances une solution pour le pouvoir et non pas une solution définitive au problème » qui se pose.


Le journaliste a conclu en estimant que « le Hirak populaire et les élites sociales disposent d'un niveau de prise de conscience et de discernement requis qui leur permet d'anticiper et de saisir la réalité des mesures prises par le pouvoir ».


« Lorsqu'ils ressentiront du sérieux et de la crédibilité de la part du pouvoir dans la préparation d'un processus électoral transparent, leur participation deviendra un fait inéluctable », a-t-il dit.

Source : AA

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