Covid-19 : en Russie, le vaccin Spoutnik V à l'épreuve des records de contaminations

Spoutnik V fait face à une double défiance : intérieure et internationale. Le sérum développé par l'Institut Gamaleya se révèle être un échec cuisant.

Bien tenté ! Mercredi, à Sotchi, au bord de la mer Noire, le président russe Vladimir Poutine a essayé de vendre les mérites de son vaccin maison Spoutnik V auprès de son homologue turc Recep Tayyip Erdogan. Mais ce dernier a poliment décliné l'offre, et confié qu'il avait pour sa part été immunisé grâce à son concurrent Pfizer-BioNTech. L'anecdote peut faire sourire. Elle traduit néanmoins les difficultés de la Russie à rendre crédible son vaccin à l'international. Et c'est plus problématique encore, à l'administrer à ses propres citoyens. 

Or, il y a urgence. La Russie peine à enrayer la troisième vague de Covid-19, démarrée en juin. Après un pic enregistré début juillet à 25 000 cas quotidiens, le variant Delta se diffuse toujours massivement. Plus de 21 000 cas sont actuellement enregistrés chaque jour. Un chiffre qui recommence à progresser depuis la mi-septembre. La campagne de vaccination patine également : 32% de la population a reçu au moins une dose, 29% sont complètement vaccinés. Plus de 700 Russes meurent tous les jours du Covid-19 depuis le début de l'été. 

Pas de reconnaissance internationale

Il y a six mois, Spoutnik V avait pourtant tout d'un pari réussi. L'institut Gamaleya avait réussi à mettre rapidement au point un sérum à vecteur viral avec à plus de 90% d'efficacité contre le Covid-19. Peu de temps après la sortie des vaccins à ARNm, sur le papier à peine plus efficients. Aujourd'hui, la situation semble désespérée. Ni l'Union européenne ni l'OMS (Organisation mondiale de la santé) ne l'ont reconnu à ce jour. L'organisation onusienne en a par ailleurs homologué bien d'autres entre-temps, à l'image des vaccins chinois Sinopharm et Sinovac le 1er juin 2021. 

Pour l'Union européenne, cela implique que le Spoutnik V ne peut servir dans le cadre du passe sanitaire européen. Des raisons politiques sont mises en avant, mais le refus de l'EMA (Agence européenne du médicament) de valider le vaccin russe pourrait tout simplement être juridique - les Russes n'étaient pas forcément familiers avec la procédure - et surtout sanitaire. Le service de pré-qualification de l'OMS avait publié une note suite à une inspection réalisée entre le 31 mai et le 4 juin sur le site de Pharmstandard - Ufa Vitamin dans la ville d'Oufa, au sud-ouest de la Russie. Les inspecteurs avaient notamment constaté des problèmes dans les données de surveillance du processus de fabrication et de contrôle qualité. 

Doutes sur l'efficacité

Les données publiées par The Lancet en février interpellaient déjà les spécialistes. Dans une enquête menée par Radio France, Jean-Daniel Lelièvre, chef du service maladies infectieuses à l'Hôpital Mondor à Créteil, et expert vaccins à la Haute Autorité de Santé, s'interrogeait sur l'homogénéité de l'efficacité du vaccin, sur toutes les tranches d'âges. "On a des taux de 92%, 90%, 91% qu'il s'agisse des plus de 60 ans ou des 18-30 ans. En général, on perd de l'efficacité avec l'âge. Donc c'est assez inhabituel." 

Son confrère, le spécialiste de l'analyse des statistiques et des courbes médicales au CHU de Rouen, André Gillibert, listait également plusieurs anomalies. La plus grosse étant une incohérence entre le nombre de patients au début et à la fin de certains essais.  

Le 26 avril dernier, la chancelière allemande Angela Merkel estimait que l'EMA ne possédait pas assez d'informations pour procéder à une autorisation. Sauf retournement de situation, celle-ci n'interviendra probablement jamais. 

A l'intérieur du pays, la population russe ne semble pas plus enthousiaste. Un sondage de l'institut Morning Consult, régulièrement mis à jour, indique que 34% des Russes refusent catégoriquement le vaccin. C'est presque deux fois plus qu'aux Etats-Unis ou encore en France, où un noyau dur de 15% d'opposants persiste encore.  

Problèmes de livraison

Vladimir Poutine lui-même est en difficulté sur le sujet. Récemment, il a révélé s'être isolé en raison de multiples contaminations dans son entourage, pourtant vacciné. Dans le cas d'un de ses proches collaborateurs, l'homme fort du Kremlin avait expliqué : "Il avait été revacciné, mais visiblement trop tard. Trois jours après la vaccination, il est tombé malade". Immunisé en toute discrétion en mars, sans caméras contrairement à nombre de ses homologues à l'étranger, Vladimir Poutine vante son niveau "élevé" d'anticorps. Maladroitement, il a toutefois admis "espérer que le Spoutnik V démontrera vraiment son haut niveau de protection contre le Covid-19".  

Environ 70 pays ont malgré tout autorisé le sérum russe sur leur sol. Pour des questions géopolitiques, mais aussi commerciales, puisqu'il était parfois difficile pour certains Etats d'accéder aux précieuses doses de Pfizer-BioNTech, Moderna ou encore AstraZeneca. "La vaccination Sputnik V a commencé dans plus de 50 pays sur 4 continents, dont l'Argentine, la Hongrie, la Bolivie, l'Algérie, le Monténégro, le Paraguay et d'autres", précise le site officiel de Spoutnik V. 

Là encore, tout ne se déroule pas comme prévu. En août, la Russie a reconnu des problèmes de livraison, notamment en Amérique du Sud. Il y a quelques jours, le Guatemala, qui avait reçu tout juste 10% des 16 millions de doses achetées, a donc annulé la moitié de sa commande, et se tourne désormais vers Johnson & Johnson, Moderna et Pfizer. 

En Europe, cela ne va pas mieux. La Slovaquie, seul pays du continent à avoir misé sur le Spoutnik V avec la Hongrie, y a finalement renoncé il y a un mois. La Russie a également racheté quelque 160 000 doses inutilisées par Bratislava, la quasi-totalité de la commande initiale. Des lots défectueux avaient sapé la confiance dans le sérum en avril. Et les dirigeants plaident aujourd'hui l'erreur, commise dans l'urgence. "La décision a été prise sous l'impact très fort, probablement le plus fort de la pandémie. Nous avions besoin d'un grand nombre de vaccins, a estimé le Premier ministre Eduard Heger auprès de l'AFP. Avec les informations dont nous disposons aujourd'hui, je ne pense pas qu'une telle décision aurait été prise." 

Source : lexpress.fr

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