Algérie-Maroc : le point de non-retour ?

C'est le plus grand scandale dans lequel est impliquée la monarchie marocaine ces dernières années. L’affaire de l’espionnage à large échelle de personnalités et de responsables de pays étrangers laissera des séquelles sur la position du Maroc et ses relations, y compris avec ses alliés traditionnels.

On parlera sans doute d’un avant et un après Pegasus, du nom du logiciel espion de la société israélienne NSO, vendu à un cercle restreint de pays amis d’Israël.

Les conséquences pourraient être fâcheuses pour le royaume, à moins que ses habituels complices extirpent le roi comme un cheveu de la pâte pour en endosser toute la responsabilité à celui qui cumule les fonctions de chef de la police et du renseignement territorial, Abdellatif Hammouchi, et quelques seconds couteaux.

La citation du numéro de Mohamed VI parmi les milliers de cibles potentielles sent de loin la diversion, par anticipation de la découverte du pot aux roses. Que le roi du Maroc soit espionné par ses propres services est impensable.

De tous les pays qui ont acquis le logiciel, c’est l’usage qui en a été fait par les services marocains qui indigne le plus. Soi-disant censé être un outil d’appoint dans la lutte contre le terrorisme et le banditisme, le Maroc en a fait un moyen pour espionner opposants et journalistes critiques en interne, responsables politiques, militaires et médiatiques étrangers, particulièrement ceux de l’Algérie.

Six mille numéros de téléphone algériens, dont beaucoup présumés appartenant à de très hauts responsables militaires et politiques algériens, ont été répertoriés dans l’enquête du consortium Forbidden Stories et le Security Lab d’Amnesty International, comme des cibles potentielles du programme pendant l’année 2019.

On y trouve notamment ceux du chef d’état-major de l’armée, du frère du président de la République (Abdelaziz Bouteflika) considéré comme le régent du pays, de deux ministres des Affaires étrangères, du chef du renseignement intérieur, de l’ambassadeur d’Algérie en France, des journalistes, des responsables de l’opposition et de la société civile…

L’Algérie, cible principale de l’opération

D’autres pays ont été la cible de ce vaste espionnage, dont la France, touchée à son plus haut niveau de responsabilité. Le président Emmanuel Macron et son épouse auraient été espionnés par les services marocains.

Le Maroc a peut-être franchi la ligne qu’il ne devait pas dépasser, notamment avec l’Algérie qui semble être la cible principale de l’opération. En attendant la suite des révélations promises par le journal français Le Monde et les 16 autres rédactions qui ont eu accès aux données de l’enquête, à ce stade, c’est l’Algérie qui a subi le plus gros préjudice dans cette histoire.

Il est même à se demander si les numéros ciblés à l’étranger ne l’ont pas été pour puiser des renseignements sur ce qui se passait en Algérie pendant les premiers mois du Hirak. Il est même à se demander si le Maroc n’aurait pas espionné l’Algérie au profit d’Israël, au vu de la quantité impressionnante de données qu’il aurait recueillies et qui dépassent largement les capacités de traitement d’un pays de la taille du royaume de Mohamed VI.

En France, des dépôts de plaintes et l’ouverture d’enquêtes ont été annoncés. En Algérie, il n’y a pas eu encore la moindre réaction officielle. Mais sans doute que cela ne saurait tarder et que la riposte d’Alger sera à la hauteur de la gravité de l’acte, dont la révélation est survenue au moment où l’ambassadeur d’Algérie au Maroc se trouve dans son pays, rappelé après le soutien affiché publiquement par la représentation du Royaume à New York au mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK).

La note que l’ambassadeur marocain a remis aux représentants des pays non-alignés a été perçue à Alger comme une provocation et une dérive dangereuse et dénoncée comme telle. Cette affaire d’espionnage est un autre dérapage, bien plus grave. Il s’agit d’un affront pour l’Etat algérien et un attentat contre sa souveraineté.

Dans les relations entre Etats, de surcroît sur des questions d’une telle sensibilité, on n’agit pas à base d’informations de presse, fussent-elles des révélations de grands médias internationaux reconnus pour leur sérieux. La réaction d’Alger tombera sans doute lorsque tout cela sera vérifié et tiré au clair.

Audace et impunité

En attendant, beaucoup de questions restent en suspens. Si le mode opératoire du logiciel israélien est vite connu, on ne sait pas comment les Marocains ont pu obtenir les numéros d’un tel nombre de responsables, dont certains très haut placés.

Ont-ils bénéficié de complicités, manipulé des gens ? Certaines informations sensibles sur l’État algérien qui se retrouvaient parfois sur les réseaux sociaux ont-ils emprunté ce canal ?

En attendant des réponses à ces questionnements, cette affaire révèle au moins deux ou trois choses d’importance. Elle est d’abord révélatrice de ce que peut entreprendre le Maroc vis-à-vis de l’Algérie, pour peu que la possibilité lui soit offerte.

Elle reflète aussi la « hardiesse » du royaume et son sentiment d’impunité par la faute des largesses et des silences de ses alliés occidentaux, ceux-là même qu’il se permet aujourd’hui d’espionner au plus haut niveau de responsabilité.

Il y a moins de deux mois, il avait lâché sa bombe migratoire sur l’Espagne en représailles à l’admission dans un hôpital de ce pays du chef du Polisario Brahim Ghali. On se pose d’ailleurs la question comment Rabat a pu savoir que le président sahraoui était transféré dans une clinique en Espagne ?

« Depuis la décision de Donald Trump (de reconnaître la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental) le Maroc bombe le torse », avait analysé dans une interview à TSA le journaliste espagnol Ignacio Cembrero, lui-même ciblé par Pegasus.

Avec cette affaire, on comprend aussi mieux pourquoi le Maroc a franchi le pas de normaliser ses relations avec Israël, contre l’avis de son opinion publique.

Dans le deal triangulaire de novembre 2020, le dossier du Sahara occidental était peut-être secondaire. « Israël protège et choie NSO, un outil de son « soft power », dont la fourniture à des gouvernements a pu contribuer à la restauration de relations diplomatiques. Les activités de NSO éclairent, en partie, les rapprochements récents de l’Etat hébreu avec l’Arabie saoudite, la Hongrie ou le Maroc ». C’est Le Monde qui l’écrit.

Source : TSA

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