Après des mois de retard, le royaume poursuit sa campagne avec huit millions de doses en stock. Premier constat : la pandémie commence à fléchir.
Dès l'apparition du premier cas du nouveau coronavirus au Maroc, à Casablanca, la capitale économique, le roi du Maroc n'a ménagé aucun effort pour favoriser la santé des Marocains, devant celle de l'économie du pays : lancement d'un fonds spécial Covid-19 (plus de 34 milliards de dirhams (DH) de cotisations), commandes anticipées de chloroquine et soutien à l'économie souterraine (plus de 5 millions de ménages aidés). Et les initiatives royales ne s'arrêtent pas là… La dernière en date : le souverain chérifien de 57 ans s'est fait vacciner au palais de Fès. Il a ainsi montré l'exemple face à la caméra et donné le top départ de la campagne de vaccination des 35 millions de Marocains dès le jeudi 28 janvier dernier. En parallèle, les autorités sanitaires et le gouvernement ont dû rassurer les citoyens et répondre à leurs interrogations afin de dissiper les doutes et rumeurs qui entouraient les livraisons des doses, le nombre de doses ou encore l'efficacité des vaccins choisis.
Une campagne sur fond de polémiques
Alors que le Maroc a été parmi les premiers pays ayant annoncé la date du lancement de la campagne de vaccination anti-Covid19 pour la 2e et la 3e semaine de décembre 2020, le retard de livraison a longtemps alimenté la polémique dans le pays. Hamid M., 69 ans, père de famille, infecté au Covid-19 en mai 2020 puis rétabli, redoute de rechuter. « Je ne vous cache pas mon inquiétude, j'espère que l'État tiendra ses promesses. C'est ce que révéleront les prochains jours, cruciaux à mon sens. »
L'inquiétude n'est pas seulement ressentie auprès des seniors. Halima J., 35 ans, n'en sait pas plus que Hamid, même si elle travaille en tant qu'infirmière au Croissant-Rouge de Tanger. « Je suis entourée de personnes qui travaillent dans la santé mais, franchement, tout le monde est confus, je prie chaque nuit le bon Dieu pour que le pire soit évité. »
Les spéculations ont parfois frôlé l'infodémie. Certaines théories complotistes ont fait le tour de la Toile très rapidement. Sur les réseaux sociaux, plusieurs internautes marocains partageaient des Fake News relatives aux vaccins et à leurs potentiels méfaits. « Ça m'est égal si le vaccin tarde à venir ou pas… Les sionistes et les Américains veulent faire de nous leurs cobayes. Les gens bien informés savent tous que les effets secondaires de ce vaccin sont véridiques. Je ne peux pas tolérer de faire partie de ceux qui croient le contraire et c'est mon droit légitime. Je choisis de ne pas me faire vacciner, point à la ligne », peut-on lire sur une publication privée partagée sur Facebook par un internaute marocain.
D'après un psychanalyste marocain ayant requis l'anonymat, « lors de grandes périodes d'épidémie, les hystéries collectives sont propices à survenir… Les gens partagent les mêmes troubles, les mêmes pulsions et les mêmes phobies. Le déni est un mécanisme de défense naturel, à mon avis, il incombe aux autorités sanitaires de rassurer les foules et de leur expliquer en de simples termes le rôle du vaccin et l'importance de l'immunité collective. » « Je lis chaque jour un tas d'informations pour nous dire que les retards de livraison de vaccins ne sont pas du ressort du pays… Que c'est la faute des autres… Que le vaccin viendra à coup sûr et qu'on se fera vacciner… Mais je ne croirai rien de tout cela tant que je n'ai pas encore été vacciné… », révèle au Point Afrique un chef de rayon de supermarché.
Une pénurie constatée partout dans le monde
Effectivement, la réponse de l'État n'a pas tardé : les autorités sanitaires, le chef du gouvernement et le porte-parole du gouvernement sont sortis, quoiqu'un tantinet tard, de leur mutisme. « Le Maroc a toujours travaillé par anticipation […]. Sauf que l'approvisionnement des vaccins est tributaire des autorisations internationales », a expliqué le ministre de tutelle. En parallèle, le chef du gouvernement Saad Eddine El Othmani a tenu à expliquer les raisons de ce retard inopiné via un tweet. Premièrement : la capacité de production reste inférieure à la demande internationale. Deuxièmement : la rareté des vaccins à l'échelle mondiale aurait conduit à une forte spéculation sans compter que les pays producteurs ont changé leur politique, donnant la priorité à la vaccination de leur population.
De son côté, le Pr Azzedine Ibrahimi, directeur du laboratoire de biotechnologie à la faculté de médecine et de pharmacie de Rabat et membre du comité scientifique de lutte contre le coronavirus, a sa petite idée sur ce retard, qu'il a partagée sur sa page Facebook. « Ces États [qui fabriquent les vaccins, NDLR] ne permettront pas que nous les devancions car ils ont développé ou fabriqué ces vaccins-là. Par-dessus tout, certains pays ont acheté trois à cinq fois plus de doses que ce dont ils ont véritablement besoin. »
Fin janvier : le roi donne le coup d'envoi de la campagne nationale de vaccination
Le 28 janvier, la campagne peut véritablement démarrer. Le roi Mohammed VI se fait vacciner contre le coronavirus au palais royal de Fès. Une photographie officielle accompagnant le communiqué montre le souverain âgé de 57 ans, le visage protégé par un masque sanitaire, en train de recevoir l'injection en levant la manche de son tee-shirt noir. Le royaume avait indiqué fin décembre avoir commandé 65 millions de doses des vaccins britannique AstraZeneca et chinois Sinopharm, ce sont bien ces derniers qui sont arrivées en premier et presque simultanément dans plusieurs villes du royaume.
Cette campagne de vaccination est, rappelons-le, gratuite pour l'ensemble des citoyens. Les autorités ont précisé qu'elle se déroulerait de façon progressive et par tranches et bénéficierait à l'ensemble des citoyens marocains et résidents dont l'âge varie entre 17 ans et plus de 75 ans. Objectif : atteindre rapidement l'immunité collective afin de protéger la population contre cette pandémie.
Et à son tour de rassurer, le ministère de la Santé a affirmé dans un communiqué que le vaccin Sinopharm a obtenu l'autorisation des autorités sanitaires du pays d'origine. Il a de plus démontré son efficacité en ce sens qu'il ne présente aucun effet secondaire potentiel, comme l'attestent les données précliniques et cliniques, lui permettant ainsi d'obtenir l'autorisation du ministère marocain de la Santé après avis unanime de la Commission nationale de vaccination.
Des débuts laborieux et un coût qui pèse déjà sur l'économie
Un soulagement pour de nombreux Marocains. Même les plus dubitatifs se laissent peu à peu convaincre. À l'image de Reda M. T., auparavant grand sceptique vis-à-vis de la communication officielle du gouvernement concernant les retards de livraisons. Sur une « story éphémère » d'Instagram, ce dernier retire ses vilipendes. « Je tiens à remercier l'État marocain qui nous a réconfortés et a fourni à nos familles et à tous les Marocains le vaccin pour les protéger du virus. Dans une précédente story, j'ai mis en doute la capacité du ministère de la Santé à mener à terme la promesse d'une campagne de vaccination nationale et aujourd'hui je me vois obligé de m'excuser et de louer l'exception marocaine malgré le manque de ressources et la concurrence internationale. »
Au Maroc, pays de 35 millions d'habitants où l'état d'urgence sanitaire est en vigueur depuis la mi-mars 2020, la crise sanitaire a eu un impact désastreux sur l'économie du pays, où un couvre-feu a été réinstauré depuis le 23 décembre. Si le souverain a annoncé la gratuité de la campagne de vaccination pour tous les citoyens marocains, son coût s'annonce très élevé. Ce qui est sûr, c'est que l'opération sera financée par le Fonds spécial Covid-19, d'après le ministère de l'Économie, des Finances et de la Réforme de l'administration. Ledit fonds ne dispose désormais que de 5,3 milliards de DH (soit 465 millions d'euros) à la date du 23 janvier. Un fonds qui devra, en plus de la campagne de vaccination, couvrir l'ensemble des secteurs impactés par la crise sanitaire. D'autant que la pandémie touche avant tout les villes à forte densité urbaine, comme la capitale économique Casablanca et la ville populaire de Salé, accolée à Rabat.
Un coup d'accélérateur grâce à une organisation bien huilée
« Une fois que les vaccins sont arrivés, le lien du site officiel du vaccin a vite circulé sur la Toile. Il s'agit de liqahcorona.ma/fr. Ce site m'a permis d'avoir toutes les informations nécessaires pour savoir comment, quand et où je vais pouvoir me faire vacciner ma mère et moi », nous confie Malak, 29 ans, attachée de presse, vivant avec sa mère et soulagée par la bonne nouvelle.
En plus du site Web, et pour multiplier les canaux de demande de prise de rendez-vous, les Marocains peuvent également envoyer par SMS leur numéro de CIN ou le numéro de leur carte de résidence au numéro vert gratuit 1717. « J'ai envoyé moi-même un SMS au 1717 pour me faire vacciner », nous révèle Hajj Laglag, retraité notaire de 76 ans.
Il fait justement partie des prioritaires de la campagne nationale de vaccination. Effectivement, comme annoncé dans un communiqué officiel diffusé le 22 janvier, la campagne de vaccination concernera dans un premier temps les zones où le niveau de contamination au Covid-19 est élevé. Elle se déroulera progressivement avec comme cibles prioritaires les personnes âgées de plus de 75 ans, les professionnels de santé de 40 ans et plus, le corps enseignant de 45 ans et plus, les autorités publiques et les membres de l'armée. « J'ai reçu dans la même semaine un message me fixant rendez-vous et m'orientant vers le lieu de vaccination le plus proche de mon domicile. Dans le centre de vaccination de mon voisinage, l'administration était rapide et efficace. Aucun effet secondaire. Je me sens en tout cas mieux, psychologiquement », poursuit Hajj Laglag d'un ton reposé.
Une fois que la première dose du vaccin est administrée, le bénéficiaire devra prendre la deuxième dose à la date qui lui sera indiquée par les autorités sanitaires. Après avoir pris les deux doses, les vaccinés pourront télécharger le certificat de vaccination sur la plateforme du site officiel de la campagne de vaccination. Il est à rappeler que deux millions de doses, produites par le laboratoire britannique AstraZeneca et acheminées depuis l'Inde, ont été livrées au Maroc plus tôt, le 22 janvier, en vue de vacciner 1 million de Marocains dans une première phase. À ce jour et en tout, le Maroc a reçu 1 million de doses du laboratoire chinois Sinopharm et 6 millions de doses du vaccin AstraZeneca permettant au Maroc de vacciner plusieurs publics et le grand public âgé de plus de 60 ans, soit les plus vulnérables.
Présentant mardi 16 février à Rabat le bilan bimensuel relatif à la situation épidémiologique, M. Meziane Belfkih, chef de la division des maladies transmissibles à la direction de l'épidémiologie et de lutte contre les maladies a relevé que le taux de reproduction (R0) du Covid-19 affichait une amélioration pour la 13e semaine consécutive pour se stabiliser à 0,85 dimanche dernier, précisant que la courbe des décès a également enregistré une baisse de 30 % au cours de la semaine dernière.
Des indicateurs qui, d'après les observateurs et les analystes, affichent d'ores et déjà le succès de cette campagne. D'ailleurs, le Maroc n'en est pas à sa première compagne de vaccination nationale. En 2013, une campagne a été lancée contre la rougeole et la rubéole. Elle a touché 11 millions de personnes âgées de 9 mois à 18 ans, soit le tiers de la population. Ladite campagne s'est étalée sur 4 semaines. Pour l'anecdote, ces maladies étaient présentes dans pratiquement tous les foyers, et la situation a rapidement basculé vers à peine 4 ou 5 cas de rougeole par an.
Source : lepoint