Afghanistan : La précarité incite les jeunes Afghans à vouloir quitter le pays

L'Afghanistan, qui compte l'une des populations les plus jeunes du monde, s'efforce de tirer parti de cette immense richesse, alors que les terribles menaces de guerre contraignent nombre de ces jeunes prometteurs à fuir à l'étranger.

Paniqués par l'avancée des insurgés Taliban, de très nombreux jeunes Afghans instruits se pressent devant le bureau principal des passeports dans le quartier de Karta-e-Chahar, à Kaboul, la capitale.

"Je ne vois aucun avenir ici [en Afghanistan] pour moi ou mes enfants", a déclaré à l'Agence Anadolu Syed Erfan, un jeune fonctionnaire et père de deux enfants, alors qu'il attendait son tour dans l'immense file d'attente devant le bureau.

Des fonctionnaires de la direction des passeports du ministère de l'Intérieur ont déclaré que le bureau principal de Kaboul était submergé de demandes depuis que les États-Unis ont annoncé leur plan de retrait d'Afghanistan en mai dernier.

"Notre capacité est d'environ 4 000 passeports par jour, mais les demandes que nous recevons sont bien plus nombreuses que cela", a déclaré l'un des fonctionnaires, qui a souhaité ne pas être nommé car il n'était pas autorisé à communiquer avec les médias.

- Quitter le pays ou rester ?

Les files d'attente au bureau des passeports, qui s'étendaient bien au-delà de l'enceinte du bâtiment et dans les rues avoisinantes, témoignaient de la riche diversité de ce pays multiethnique, mais la plupart des demandeurs semblaient avoir entre 20 et 40 ans.

Ahmad Shah, un autre candidat à l'immigration, était là pour demander un passeport pour sa femme, avec laquelle il souhaitait se rendre en Turquie.

"J'ai été élevé par une mère célibataire après la mort de mon père sous le régime des moudjahidines", a déclaré Ahmad, responsable des ressources humaines dans une entreprise privée de Kaboul, en référence aux factions des partis islamiques engagés dans la guerre civile des années 1990.

"Nous sommes effrayés à l'idée que ce genre de situation puisse se reproduire".

Les jeunes Afghans comme Ahmad et Syed ont déclaré qu'ils assistent à la disparition des nombreux acquis des deux dernières décennies de paix relative, car les efforts pour parvenir à un règlement politique de la guerre sanglante n'aboutissent pas et la guerre embrase progressivement des territoires auparavant pacifiques.

Il y a néanmoins beaucoup d'autres personnes qui sont d'avis de rester dans le pays et de se battre pour leur survie et les valeurs qu'elles défendent.

"Le plus important, que nous soyons vivants ou morts, c'est que l'Afghanistan est notre patrie, et nous y resterons en refusant toute migration et émigration. Nous espérons la prospérité et l'indépendance de notre pays", a tweeté l'un de ces Afghans patriotes, Habib Khan.

"Je ferai de toi ma patrie [l'Afghanistan] un pays contemporain, ou je me transformerai en cendre noire à tes pieds", a-t-il ajouté.

Selon les estimations de l'Autorité des statistiques et de l'information du pays, 63,7 % des Afghans ont moins de 25 ans, ce qui reflète une structure d'âge "pyramidale" dans laquelle une importante génération de jeunes émerge lentement.

D'un point de vue technique, les experts estiment qu'avec une éducation et des possibilités d'emploi appropriées, ainsi que de bons soins de santé et une responsabilisation, cette jeune population pourrait contribuer à générer une situation démographique favorable : une importante population en âge de travailler, avec peu de personnes à charge, apportant collectivement la prospérité à la société.

Mais en raison de la guerre dévastatrice, de la pauvreté écrasante et de la corruption, les jeunes Afghans sont confrontés à des défis importants en matière de santé, d'éducation, d'emploi et d'inégalité entre les sexes.

- Défaut de construction de l'État

Les observateurs estiment que l'exode de la main-d'œuvre qualifiée dû à l'incertitude économique et sécuritaire, ainsi que le retrait de la communauté internationale, auront un effet dévastateur sur le moral des forces de sécurité et la capacité du gouvernement civil à reconstruire le pays après un éventuel règlement.

Magdalena Kirchner, représentante de la fondation politique non gouvernementale allemande Friedrich-Ebert-Stiftung (FES), a déclaré à l'Agence Anadolu que la situation montre également qu'en 20 ans d'intervention, d'efforts de développement et de construction d'un État, la communauté internationale et les dirigeants politiques afghans n'ont pas réussi à édifier un État.

"Ou peut-être même simplement une économie capable d'offrir suffisamment de certitudes et de perspectives aux citoyens afghans lorsqu'elle est totalement autonome", a-t-elle ajouté.

Selon la dernière édition du "Long War Journal", les Taliban ont pris le contrôle de plus de 80 districts au cours des deux mois qui ont suivi le lancement de leur offensive contre le gouvernement afghan, après que le président américain Joe Biden a annoncé que les États-Unis retireraient leurs forces du pays en septembre.

Dans de nombreux cas, les forces de sécurité afghanes ont remis les chefs-lieux de district, abandonné les bases militaires et se sont rendus aux Taliban en leur livrant sans combattre leurs armes, véhicules et autres matériels de guerre. La stratégie menée depuis plusieurs années par les Taliban, qui consiste à gagner de l'influence dans les districts ruraux pour ensuite faire pression sur les centres urbains, porte également ses fruits, selon le rapport de la semaine dernière.

Selon les observations du Long War Journal, les Taliban contrôlent 168 districts en Afghanistan et le gouvernement afghan en contrôle 79, tandis que 151 autres districts restent contestés.

Quant à la population, elle est estimée à 10,9 millions d'Afghans vivant dans des zones contrôlées par le gouvernement, 10,3 millions dans des zones contrôlées par les Taliban et 11,6 millions dans des zones contestées.

Source : AA

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