Condamnation historique d’un ex-agent syrien pour « complicité de crimes contre l’humanité »

Eyad Al-Gharib a été condamné à quatre ans et demi de prison dans le cadre du premier procès lié aux exactions imputées au régime de Bachar Al-Assad.

C’est une première. La justice allemande a condamné, mercredi 24 février, un ancien membre des services de renseignement syrien à quatre ans et demi de prison pour « complicité de crimes contre l’humanité » dans le cadre du premier procès lié aux exactions imputées au régime de Bachar Al-Assad.

Eyad Al-Gharib, 44 ans, a été reconnu coupable, par la haute cour régionale de Coblence (Rhénanie-Palatinat), d’avoir participé à l’arrestation en septembre ou octobre 2011 d’au moins trente manifestants à Douma, près de Damas, et à leur transfert vers un centre de détention des services de renseignement.

L’accusé s’est caché le visage avec un dossier face aux caméras et a écouté son verdict, le regard fixe, avec un masque médical sur le visage. Le tribunal est resté en dessous des réquisitions du parquet qui avait demandé cinq ans et demi.

A l’approche du dixième anniversaire du début du soulèvement populaire en Syrie, le 15 mars 2011, c’est la première fois dans le monde qu’un tribunal se prononce sur un dossier lié à la répression brutale et sanglante par Damas des manifestations pour la liberté organisées dans le cadre des « printemps arabes ».

Complicité de crimes contre l’humanité

Eyad Al-Gharib est le premier des deux accusés qui comparaissent depuis le 23 avril devant la haute cour régionale de Coblence à recevoir sa sentence, les juges ayant choisi de scinder la procédure en deux.

Le second accusé, Anwar Raslan, 58 ans, considéré comme bien plus central dans le vaste appareil sécuritaire syrien, est poursuivi pour « crimes contre l’humanité » pour la mort de cinquante-huit personnes et la torture de quatre mille détenus notamment. Le procès de cet ancien colonel devrait durer au moins jusqu’à la fin octobre.

Pour les juger, l’Allemagne applique le principe de la compétence universelle qui permet de poursuivre les auteurs des crimes les plus graves quels que soient leur nationalité et l’endroit où les crimes ont été commis.

Les recours devant des juridictions nationales en Allemagne, en Suède ou en France se multiplient à l’initiative de l’importante diaspora syrienne réfugiée en Europe. Ils sont, à l’heure actuelle, la seule possibilité de juger les exactions perpétrées en Syrie en raison de la paralysie de la justice internationale.

« Une ampleur presque industrielle » de la torture

Eyad Al-Gharib officia dans les plus bas échelons du renseignement avant de déserter en 2012 puis finalement de fuir la Syrie en février 2013. Arrivé le 25 avril 2018 en Allemagne après un longue périple en Turquie puis en Grèce, il n’a jamais dissimulé son passé.

C’est même lorsqu’il a raconté son parcours sinueux aux autorités chargées de statuer sur sa demande d’asile que la justice allemande a commencé à s’intéresser à lui, ce qui a conduit à son interpellation en février 2019. L’accusation assure qu’il a été un rouage dans un système où la torture se pratiquait avec « une ampleur presque industrielle ».

Resté dans l’ombre d’Anwar Raslan durant les dix mois d’audience, Eyad Al-Gharib a gardé le silence et caché son visage aux caméras. Il a néanmoins écrit une lettre dans laquelle il a exprimé sa peine pour les victimes.

« Dossier César »

Un avocat des parties civiles, Patrick Kroker, a déploré son mutisme. Les gens « de son grade peuvent s’avérer très importants pour nous informer sur les [responsables syriens] que nous visons vraiment, mais c’est quelque chose qu’il a choisi de ne pas faire », a-t-il dit.

Plus d’une dizaine de Syriens et de Syriennes sont intervenus à la barre pour témoigner des effroyables sévices qu’ils ont endurés dans la prison d’Al-Khatib. Certains témoins ont été entendus anonymement, le visage dissimulé ou coiffé d’une perruque par crainte de représailles contre leurs proches toujours en Syrie.

Pour la première fois, des photos du « dossier César » ont en outre été présentées dans un tribunal. Cet ex-photographe de la police militaire a exfiltré, au péril de sa vie, cinquante mille clichés montrant 6 786 détenus syriens figés par une mort brutale, affamés et suppliciés.

Des photos qui ont été analysées devant la cour par un médecin légiste, le professeur Markus Rothschild, constituant des preuves matérielles accablantes.

Source : Le Monde avec AFP

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