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- Le 22 Novembre 2024
Un nouveau juge a été nommé, vendredi 19 février, dans l’enquête sur la double explosion dévastatrice du port de Beyrouth. Son prédécesseur avait été écarté la veille, suscitant l’incompréhension des familles des victimes.
Nouveau coup dur ou tournant dans l’enquête sur le drame du 4 août 2020 qui a endeuillé le Liban et sa capitale Beyrouth ? Les prochaines semaines seront sans doute cruciales pour les familles des 206 victimes décédées et des 6 500 blessés, après la mise à l’écart, jeudi 18 février, du juge en charge de l’enquête, Fadi Sawan, par la Chambre pénale après la Cour de cassation.
Alors qu’il venait d’inculper — une première — trois anciens ministres des finances et des travaux publics, ainsi que le premier ministre sortant, Hassan Diab, pour « négligence et avoir causé des centaines de décès », le magistrat s’était vu obligé de suspendre son enquête. Un arrêt dû à la plainte déposée, mi-décembre, par Ali Hassan Khalil et Ghazi Zeaiter, deux anciens ministres inculpés, aujourd’hui députés (du mouvement chiite Amal), pour « suspicion légitime d’incompétence ». Ceux-ci lui reprochaient d’avoir violé la Constitution et les dispositions relatives à leur immunité parlementaire.
Le juge Sawan avait finalement repris ses interrogatoires il y a une dizaine de jours. Mais le verdict de la Cour de cassation est tombé le 18 février. Un couperet. Premier argument avancé pour le dessaisir, le fait qu’il ait été « directement sinistré par la déflagration », son appartement ayant été endommagé le 4 août, ce qui, pour les magistrats de la Cour de cassation, remet en cause son « objectivité ».
L’explication est loin de convaincre le bâtonnier de Beyrouth, Melhem Khalaf, dont l’ordre a préparé gracieusement pas moins de 1 200 dossiers de plaintes de victimes. « Le dommage moral (engendré par la double explosion, NDLR) n’a-t-il pas touché tous les Libanais ? », lance-t-il, jugeant cet argument « inquiétant ». Même son de cloche du côté de Nizar Saghieh, avocat et directeur exécutif de l’ONG Legal Agenda, qui estime ce motif « très grave, on parle d’un crime général qui concerne des centaines de milliers de personnes, c’est comme s’ils n’avaient rien compris à l’importance du 4 août ».
Le deuxième argument retenu pour écarter le juge Sawan tient à des propos qu’il a émis. Il « n’hésiterait, avait-il dit, à poursuivre aucun responsable, aussi haut placé soit-il, et ne (s)’arrêterait devant aucune immunité ou ligne rouge », compte tenu de l’ampleur du drame subi par les Libanais. Pour Nizar Saghieh, cette éviction s’explique parce qu’« un juge a osé commencer des poursuites, inculper des ministres, ce qui est presque nouveau au Liban, où ce sont des intouchables ».
« Cela a provoqué un tollé au sein de la classe politique, relève-t-il, car finalement, cela ne concerne pas seulement l’affaire du port, mais plus largement, la corruption, l’audit de la Banque du Liban… des questions fondamentales pour la justice libanaise ».
Ce militant de l’indépendance de la justice va plus loin, déplorant que le verdict de la Cour de cassation aille « dans le sens des demandes de la classe politique, ce qui contribue au renversement de l’ordre juridique et social libanais par le fait qu’elle protège l’immunité et pave la voie à l’impunité ». Ziad Baroud, avocat et ancien ministre de l’intérieur, pointe la nécessité de « mettre fin à l’immunité absolue, non démocratique et contraire à l’égalité de tous devant la loi », ajoutant que « le corps judiciaire ne peut plus et ne veut plus être tout le temps mis à l’épreuve ».
L’annonce du dessaisissement du juge Sawan a provoqué la colère des familles des victimes du 4 août. « Vous nous avez tués une nouvelle fois, jusqu’où irez-vous ? », ont-ils lancé en se mobilisant aux abords du palais de justice. « Nous voulons savoir qui a tué nos enfants », se lamentait une mère, le visage noyé de larmes.
Leur désespoir a-t-il été entendu ? Un nouveau magistrat, le juge Tarek el-Bitar, a été nommé vendredi 19 au soir pour reprendre l’enquête. Celui qui présidait le tribunal pénal de Beyrouth avait déjà été pressenti en août 2020 mais avait, à l’époque, émis des réserves, avant d’être écarté pour raisons personnelles. Il est décrit comme un « profil intègre et consciencieux », aux dires du bâtonnier Melhem Khalaf, jouissant d’une « bonne réputation », mais, nuance Nizar Saghieh « l’environnement dans lequel il va travailler n’est pas très rassurant ».
Dans ce contexte explosif, de quelle marge de manœuvre disposera le magistrat ? « Toute la question est de savoir si l’on est en train d’assurer au juge qu’il pourra travailler en toute sérénité, ou si les lignes rouges sont déjà tracées ? », interroge de son côté Nizar Saghieh. « Sans justice, le pays va à la dérive, observe Melhem Khalaf. C’est le dernier bastion qu’il faut défendre, si on ne veut pas tomber dans un État défaillant ».
Source : La-croix