Malgré le déploiement de policiers antiémeute pour bloquer l’accès au centre-ville de Tunis, plusieurs milliers de manifestants se sont réunis dans la capitale tunisienne, samedi 6 février, pour dénoncer les violences policières. Ils ont aussi commémoré la mort du militant laïque Chokri Belaïd, assassiné il y a huit ans.
Soutenu par l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), principal syndicat du pays, ce rassemblement est le plus important depuis des années. Une partie de la population craint une remise en cause des acquis de la « révolution de jasmin » de 2011, déclencheur du « printemps arabe ».
« J’ai vécu dix ans de liberté (…), je ne suis pas prêt à la perdre », a expliqué à l’agence de presse Reuters Haytem Ouslati, un manifestant de 24 ans, au milieu d’une foule scandant son refus de la peur et proclamant que « la rue appartient au peuple ».
Pour la première fois depuis le réveil de la contestation face à la persistance des difficultés économiques et de la paralysie politique, l’UGTT, forte de plusieurs centaines de milliers d’adhérents, a apporté son soutien à cette manifestation. « Aujourd’hui est un cri d’alarme pour défendre la révolution, pour protéger les libertés menacées », a déclaré Samir Cheffi, le secrétaire général adjoint du syndicat.
« Le peuple veut la chute du régime »
Parties de régions défavorisées, les récentes manifestations – qui ont parfois été ponctuées d’affrontements et d’émeutes – visaient à l’origine à dénoncer les inégalités. Mais elles portent de plus en plus sur les arrestations et les soupçons de maltraitance des personnes interpellées. Des critiques rejetées par le ministère de l’intérieur.
« Nous n’accepterons pas que la Tunisie devienne une caserne. Nous demandons au président d’intervenir et de protéger les libertés », a ainsi fait valoir Naima Selmi, qui assistait au rassemblement du 6 février. « Non à l’impunité », « A bas le régime policier », pouvait-on lire sur des affiches brandies par des manifestants qui réclament la libération de tous les personnes arrêtées lors des récentes mobilisations – elles étaient plus de 1 500 à la mi-janvier, dont beaucoup de mineurs, selon la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH).
Les manifestants s’en sont pris en particulier au parti islamiste modéré Ennahda, pilier des coalitions successives depuis le renversement de Zine El-Abidine Ben Ali en 2011, reprenant le slogan scandé dix ans plus tôt : « Le peuple veut la chute du régime ». Des slogans hostiles au président du Parlement, Rached Ghannouchi, à la tête du parti au pouvoir, ont également été scandés. Des agents en civil prenaient des photos de manifestants, notamment ceux jetant des bouteilles d’eau sur des policiers, selon l’AFP.
L’assassinat de Chokri Belaïd, opposant de gauche et critique virulent d’Ennahdha, le 6 février 2013, attribué à une cellule islamiste radicale, avait déclenché une crise politique et entraîné de vastes manifestations au cours desquelles la formation islamo-conservatrice avait déjà été prise pour cible. Sa mort avait mené le pays dans une profonde crise politique. Des députés et des personnalités politiques de gauche ont d’ailleurs participé à la mobilisation de ce samedi.