L’inquiétude grandit pour la santé de Soulaiman Raissouni, 49 ans et d’Omar Radi, 34 ans, deux journalistes marocains en détention préventive, respectivement depuis juin et juillet 2020, et tous deux en grève de la faim depuis le 8 avril pour obtenir leur libération. D’autant plus que tous deux souffrent de problèmes de santé.
« Ils doivent être hospitalisés », réclame Maati Monjib. L’universitaire et journaliste sait de quoi il parle pour avoir lui-même suivi une grève de la faim en prison pendant 19 jours avant d’être remis en liberté provisoire le 23 mars.
Tous trois sont les cas de journalistes les plus médiatisés qui sont poursuivis au Maroc pour des affaires de mœurs et/ou d’atteinte à la sureté de l’État et que les organismes de défense des droits humains considèrent comme des victimes de harcèlement judiciaire.
Les journalistes marocains mobilisés
« Nous appelons les institutions responsables à accélérer leur mise en liberté provisoire et à mettre fin à ce drame ». Cette pétition mise en ligne le 14 avril a été depuis lors signée par quelque 200 journalistes marocains, inquiets pour la santé de leurs confrères.
Mais dans la mesure où leur grève de la faim concerne leur libération et non pas leurs conditions de détention, la direction générale de l’administration pénitentiaire a déclaré le 20 avril qu’elle « n’aura aucune responsabilité sur les conséquences de leur grève de la faim sur leur santé », rapporte le site d’information Le Desk.
Les journalistes signataires dénoncent également la « violation répétée de la présomption d’innocence » et « l’impunité dont bénéficie la presse de diffamation au Maroc ». En juillet 2020, ils étaient déjà 110 journalistes à avoir appelé les autorités marocaines à prendre des mesures contre les « médias de diffamation » qui calomnient impunément des « voix critiques » comme les journalistes Omar Radi ou Soulaiman Raissouni.
« La saison des procès arbitraires »
« Au Maroc, des journalistes sont emprisonnés sans base réelle et hors de tout sens commun », s’indignent, de leur côté, dix-sept intellectuels français, majoritairement historiens, anthropologue et sociologues, dans une tribune publiée dans Le Monde le 21 avril. Reporters sans frontières s’est également insurgé de « l’ouverture de la saison des procès arbitraires de journalistes au Maroc », le 5 avril dernier, veille de l’ouverture du procès des deux journalistes Omar Radi et Imad Stitou, avant que leur audience ne soit reportée au 27 avril.
Omar Radi, de longue date dans la ligne de mire des autorités, espionné sur son téléphone comme l’avait révélé Amnesty International en juin 2020, est sous le coup de quatre chefs d’accusation, notamment pour viol et pour atteinte à la sécurité intérieure et extérieure de l’État. Imad Stitou, son témoin devenu suspect est poursuivi pour participation au viol.
« Ces accusations courantes de crime de droit commun qui n’ont rien à voir avec les activités de journalistes visent à salir et discréditer les voix critiques et les opposants, il s’agit bel et bien de répression politique », fait valoir Maati Monjib. L’universitaire en veut pour preuve les méthodes utilisées par les autorités, notamment les arrestations en forme de kidnapping qui font fi de la loi. « Pas de convocation par la justice ni de mandat d’amener mais des arrestations fortement médiatisées par des agents en civil, des poursuites qui durent parfois des années, des procès sans cesse reportés puis qui se tiennent en l’absence des prévenus, tout concourt à rendre impossible toute défense et à semer un vent de panique », analyse-t-il.
Le courroux des autorités
Lui-même subit les foudres de la justice marocaine depuis 2015. Le cabinet d’avocats Bourdon et associés a déposé une plainte en France le 11 mars dernier en raison de sa double nationalité marocaine et française pour « harcèlement moral, atteinte à la liberté individuelle et mise en danger de la vie d’autrui ». « Les autorités françaises s’émeuvent beaucoup du sort de l’opposant russe Alexeï Navalny, mais sont très discrètes sur celui de Maati Monjib, pourtant ressortissant français », relève Manon Dantin, juriste au cabinet. Celui-ci a également envoyé un appel urgent le 9 avril à la rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs et défenseuses des droits humains de l’ONU Mary Lawlor.
Cette mobilisation internationale, et la parution d’articles sur la situation des journalistes, n’est pas du goût des autorités marocaines qui ont fait part de leur agacement auprès de l’ambassadrice de France Hélène Le Gal. Le site marocain Barlamane s’en est pris vertement au Monde qui, selon lui, « colporte de graves accusations », dans un article « Pourquoi faut-il boycotter le quotidien français Le Monde ? » paru le 19 avril.