Les prisons se remplissent de nouveau de détenus d’opinion : plus d’une soixantaine sont actuellement derrière les barreaux.
Deux mois après la décision du président algérien, Abdelmadjid Tebboune, de gracier des militants du Hirak, déjà condamnés, et d’accorder la liberté provisoire à ceux n’ayant pas été définitivement jugés, les prisons se remplissent à nouveau de détenus d’opinion. Ils sont désormais 66, selon les données mises à jour par le site Algerian Detainees.
Les autorités algériennes optent pour le durcissement face au retour des manifestants dans les rues chaque mardi et vendredi. Le mouvement de contestation populaire, commencé début 2019, a repris fin février après un an de suspension pour cause de pandémie.
Le régime accuse désormais le Hirak d’être infiltré par des « milieux séparatistes » et des « mouvances illégales proches du terrorisme » qui chercheraient à l’entraîner dans l’action violente, comme l’a laissé entendre le président Tebboune, le 6 avril, à l’issue d’une réunion du Haut Conseil de sécurité.
Ce propos visait en particulier le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (indépendantiste), interdit, qui ne se reconnaît pourtant pas dans le Hirak, et le mouvement Rachad, qui comprend certains éléments de l’ex-Front islamique du salut.
« Vrai Hirak béni »
Aux accusations habituelles d’attroupements non armés et d’atteinte à l’unité nationale sont venues s’ajouter des accusations récurrentes de liens avec l’étranger. Nacer Meghnine, président de la très active association culturelle SOS Bab el-Oued, a été placé en détention provisoire, mardi 20 avril, et d’autres membres sous contrôle judiciaire. Un communiqué de la police algérienne a qualifié l’association de « criminelle », l’accusant d’activités subversives, financées par la représentation diplomatique d’un grand pays, lequel n’est pas cité.
Dans le plus pur style des annonces officielles pour les affaires de banditisme, la police a diffusé des images des membres de l’association, pris de dos, menottés, à côté d’une table sur laquelle sont posés des imprimantes, des appareils photos, ainsi que des pancartes portées par les manifestants du Hirak.
Le procédé, qui a suscité l’indignation sur les réseaux sociaux, se situe dans le droit fil du discours du régime, qui estime avoir répondu aux demandes du « vrai Hirak béni ». Il ne resterait aujourd’hui, selon le ministre de la communication et porte-parole du gouvernement, Ammar Belhimer, qu’un « pseudo-Hirak » que « certaines parties extérieures instrumentalisent dans leur guerre contre l’Algérie ».
Lundi 19 avril, Rabah Karèche, correspondant du journal Liberté à Tamanrasset, dans l’extrême sud du pays, a été écroué pour avoir couvert une manifestation de Touareg contestant le nouveau découpage administratif décidé par les pouvoirs publics. Il est accusé de diffusion « d’informations susceptibles de provoquer la ségrégation et la haine dans la société », de « diffusion volontaire de fausses informations susceptibles d’attenter à l’ordre public » et d’« usage de divers moyens pour porter atteinte à la sûreté et l’unité nationale ».
Gestion habituelle du Hirak
Des accusations « fallacieuses qui cachent mal une volonté de faire taire le journaliste et l’empêcher d’accomplir en toute objectivité son travail », a réagi le journal Liberté, dont le propriétaire est l’homme d’affaires Issad Rebrab, patron du groupe Cevital.
Les inquiétudes grandissent également sur le sort de vingt-deux détenus du Hirak en grève de la faim depuis le 6 avril. Arrêtés après une manifestation le 3 avril, ils ont été placés en détention provisoire et sont poursuivis pour « atteinte à l’unité nationale et attroupement non armé ». La Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme a également rappelé les « cas tragiques du journaliste Mohamed Tamalt et du médecin militant Kamel Eddine Fekhar, morts en détention [en 2016 et 2019] ».
Pour la politiste Louisa Dris-Aït Hamadouche, la répression fait partie de la gestion habituelle du Hirak par le régime et elle n’a jamais cessé, même durant le confinement. Mais, précise-t-elle dans un entretien au journal El Watan, des « pics » sont en général enregistrés en lien avec les échéances que se fixe le pouvoir.
« Ce pic a été constaté au moment de l’élection présidentielle [en décembre 2019], lors du référendum [sur la révision de la Constitution, en novembre 2020] et, maintenant, avec les prochaines élections législatives. » Celles-ci, qui doivent se tenir le 12 juin, peinent à susciter l’intérêt des Algériens. La politiste souligne, par ailleurs, qu’il s’agit d’un choix paradoxal, car le régime, hanté par l’abstention, aurait plus de chances d’attirer les électeurs « en ouvrant les médias et en permettant les libertés individuelles qu’en remplissant les prisons ».
Source : Le Monde