Le mouvement du 22 Février 2019 est à la fois un moment et un processus, né d'un cumul de luttes.
La révolution populaire, communément appelée Hirak, constitue une continuité du combat identitaire, a affirmé, hier, le militant Saïd Khelil, lors de son intervention au 47e forum du Rassemblement Actions Jeunesse (RAJ) organisé à la veille de la célébration du 41e anniversaire du Printemps berbère qui coïncide avec le 20 avril. Tout comme le combat pour l'affirmation de l'identité amazighe, la révolution populaire du 22 Février 2019 “n'est pas venue spontanément”, explique Saïd Khelil, mais d'une “effervescence sociale et politique” qui a agité le pays, malgré la chape de plomb imposée par le régime sous l'ancien parti unique depuis l'indépendance de l'Algérie en 1962.
Pour M. Khelil, qui a fait un long exposé sur les étapes de la lutte en faveur de l'identité et la langue amazighes, ces deux moments de l'histoire récente de l'Algérie s'inscrivent dans un cadre rationnel, de par leur “nature profondément démocratique, pacifique et unitaire”. Abordant la question d'un point de vue sociologique, le sociologue Nacer Djabi partage l'idée que le Hirak est à la fois un moment et un processus, né d'un cumul de luttes qui ont permis aux Algériens de déjouer les manœuvres du pouvoir qui a tenté de briser la mobilisation populaire en jouant la carte de l'interdiction du drapeau amazigh lors des manifestations du vendredi, allant jusqu'à l'emprisonnement des porteurs de cet emblème.
“Le 22 Février 2019, une guerre identitaire a été posée aux Algériens” par un pouvoir qui a essayé encore de jouer sur les fissures identitaires et leur profondeur anthropologique pour casser l'élan de la mobilisation populaire, affirme le sociologue “Mais le peuple l'a déjouée”, ajoute M. Djabi, qui estime que l'on “a réussi ou nous sommes sur le chemin de la réussite de la construction d'une nation”. En interdisant l’emblème amazigh, le régime a visé l’isolement du Hirak de la Kabylie, considérée par M. Djabi comme la “région la plus intégrée, que ce soit d'un point de vue politique, culturel ou sociétal”. M. Djabi s'appuie aussi sur un élément sociologique, et pas des moindres, qu'est le mariage. “Selon un sondage, il y a 46% d'Algériens déplacés à travers le pays grâce au mariage”, a-t-il illustré. Grâce au Hirak, “nous nous sommes appropriés notre langue algérienne”, enchaîne le sociologue, estimant qu'aujourd'hui, “la question amazighe se pose sur un plan maghrébin”, en prenant évidemment en considération deux paramètres qui lui semblent importants : la qualité des élites et la composante sociologique et sociétale.
Le projet amazigh est sorti du régionalisme dans lequel le pouvoir a de tout temps essayé de le confiner, affirme le sociologue, revenant plusieurs fois sur le fait que “l'avenir de la question amazighe est dans la construction d'un espace” géopolitique maghrébin fort, en se débarrassant des peurs qui paralysent toute action allant dans cette direction. Interrogé sur la question de la transcription de tamazight, M. Djabi estime qu'il faut prendre en compte, encore et toujours, la réalité sociale et politique, et laisser le choix ou plusieurs choix aux gens. Mais il soutient fermement que c'est à l'État-nation d'inscrire tamazight dans le système d'apprentissage, c'est-à-dire à l'école, alors qu'actuellement, l'enseignement de cette langue se limite à quelques régions et wilayas du pays.
Les deux conférenciers ont été unanimes à penser que la société a démontré, durant ces deux années de révolution populaire, avoir intégré la dimension amazighe, malgré la réapparition d'une mentalité révisionniste visant à remettre en cause les origines amazighes de l'Algérie.
Source : La Liberte