Saint-Louis: une étape sur la route de l'immigration clandestine vers l'Europe

Le nombre de personnes qui tentent de passer illégalement d'Afrique vers l’Espagne augmente d'année en année. La ville sénégalaise de Saint-Louis est devenue un important point de transit sur la route de l'immigration clandestine de l'Afrique vers l'Occident.

Située dans le nord du Sénégal, à 250 kilomètres de la capitale Dakar, Saint-Louis abrite les plus importantes activités de pêche du Sénégal, avec un littoral d'environ 40 kilomètres.

Cette ville historique, qui fut la capitale politique de l'Afrique occidentale française (AOF) de 1895 à 1902 pendant la période coloniale française et la capitale du Sénégal et de la Mauritanie jusqu'en 1957, a été témoin d'une migration illégale incontrôlable au cours des dernières années.

Saint-Louis est devenue l'un des principaux ports de l'immigration clandestine de l'Afrique vers l'Europe par voie maritime, et les gouvernements ne parviennent pas à empêcher ce phénomène.

La pêche industrielle incontrôlée, l'impact négatif des activités des entreprises énergétiques mondiales sur la pêche traditionnelle et le changement climatique poussent les jeunes de la région à se tourner vers d'autres activités, alors qu’à Saint-Louis, la pêche est la principale source de revenus.

Les migrants qui souhaitent se rendre illégalement en Europe, embarquent sur les côtes de Saint-Louis et tentent d'atteindre les îles Canaries en parcourant environ 1 300 kilomètres sur l'océan à bord d'embarcations de pêche de fortune.

De nombreux habitants de Saint-Louis, mais aussi de l'intérieur du Sénégal et d'autres pays d'Afrique de l'Ouest, tentent ce voyage risqué pour atteindre l'Europe.

Pendant ce périple, d’une durée de 4 à 5 jours pour atteindre les îles Canaries, composées de 7 îles, à partir de Saint-Louis, certains bateaux chavirent en pleine mer.

- Le premier bateau de migrants clandestins est arrivé il y a 30 ans

Les premiers migrants illégaux sont arrivés sur les îles Canaries en août 1994, et depuis plus de 30 ans, l'immigration clandestine se poursuit par cette voie.

Selon les données publiées l'année dernière par le ministère espagnol de l'Intérieur, environ 230 000 personnes sont arrivées illégalement sur l'île en 30 ans.

L'organisation non gouvernementale espagnole Caminando Fronteras (Marcher sur les frontières) a également publié un rapport en décembre 2024, révélant qu'au moins 10 457 personnes sont mortes en 2024 en tentant d'atteindre illégalement la côte espagnole.

L’année 2024 a été « la plus meurtrière » de l'histoire moderne de la migration vers l’Espagne avec une moyenne de 30 personnes mortes en mer chaque jour en essayant de traverser.

À Saint-Louis, le correspondant d'Anadolu s'est entretenu avec des Sénégalais qui se sont rendus en Espagne par cette voie et qui sont rentrés depuis au pays.

- Le coût de la traversée vers l'Espagne se situe entre 500 et 700 dollars par personne

Mamadou Fall, président de l'« Association des migrants de retour d'Espagne », basée à Saint-Louis et fondée en 2014, tente de sensibiliser l'opinion publique et de persuader les jeunes de migrer vers l’Espagne.

Ce dernier explique avoir fait quatre ans d'emprisonnement à Tenerife sur les îles des Canaries car il a été accusé d’être un passeur et le capitaine du bateau.

Depuis maintenant environ 10 ans, Fall essaye d'expliquer aux jeunes les dangers de ce périple par l'intermédiaire de son association.

« L'immigration clandestine a atteint des dimensions terribles. Le Sénégal, l'Europe et les sociétés africaines doivent faire quelque chose », a insisté Fall, soulignant que le gouvernement devrait mettre en œuvre des projets d'industrialisation et créer des emplois pour les jeunes.

« En plus d'arrêter ceux qui risquent leur vie en montant sur les bateaux, il faut arrêter les passeurs qui gagnent des milliers de dollars grâce à ce commerce. Pour passer aux îles Canaries, il faut payer entre 500 et 700 dollars par personne, alors que certains bateaux transportent entre 150 et 200 personnes. Calculez l'argent qui va dans les poches des passeurs à partir d'un seul bateau. S'ils n'arrêtent pas, l'immigration clandestine ne s'arrêtera pas ».

Soulignant que l'Europe est toujours perçue comme un « paradis » par les Africains, Fall a poursuivi :

« Certains migrants montent sur le bateau en rêvant d'Europe, même s'ils ont un travail ici, car ceux qui atteignent les îles Canaries ne disent jamais la vérité à leur famille et à leurs proches, même s'ils vivent dans de très mauvaises conditions. Ils postent des photos des beaux quartiers de la ville et disent qu'ils vont très bien. Mais la réalité est tout autre. De nombreux migrants sont dans la misère. L'Europe est déjà confrontée à de nombreux problèmes. En tant qu'association, nous essayons de sensibiliser la société à cette question. »

- Je n'essaierais plus jamais de passer en Espagne par bateau si on me donnait des millions

Abdurahmane Seck, 45 ans, s'est rendu en Espagne en 2006 et est rentré dans son pays en 2011. Ce dernier explique avoir exercé divers emplois pendant cinq ans qui vont du colportage au ramassage des ordures dans différentes villes d'Espagne.

Seck a décidé de retourner dans son pays parce qu'il n'avait pas reçu de permis de séjour.

« Si on me donnait des millions de dollars aujourd'hui, je n'essaierais plus jamais de traverser en bateau vers l'Espagne. Cela ne vaut pas la peine de prendre ce risque. Même si vous atteignez l'Espagne sain et sauf, de nombreuses difficultés vous attendent. Il n'y a plus de travail là-bas », a-t-il expliqué.

Soulignant qu'il existe des possibilités d'emploi au Sénégal pour ceux qui veulent travailler, Seck a donné le conseil suivant aux jeunes :

« Les trafiquants d'êtres humains ne s'intéressent pas à votre vie, leur préoccupation est de gagner de l'argent. Une fois qu'ils ont obtenu de l'argent, ils ne se soucient pas de savoir si vous arrivez à bon port. Vous n'êtes qu'un outil qui leur permet de gagner de l'argent. Même si vous allez en Espagne, vous devrez travailler dans des conditions très difficiles. Restez plutôt dans votre pays, travaillez dur ici. Ce n'est pas le pays dans lequel vous vous trouvez qui vous fera gagner de l'argent, mais un travail discipliné. De nombreux migrants sénégalais essaient d'envoyer de l'argent à leur famille même s'ils n'ont pas assez à manger. Si vous voulez voyager en Europe, obtenez un visa et voyagez. »

Source: AA

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