Les essais nucléaires français et le 5e CIHN d’Alger : Un crime colonial qui exige réparation

La question des conséquences sanitaires et environnementales des 17 essais nucléaires réalisés par la France dans le Sahara entre 1960 et 1966, ainsi que celle des déchets nucléaires et non nucléaires figureront, selon toute vraisemblance, au menu de la cinquième session du Comité intergouvernemental de haut niveau (CIHN) qui se tiendra les 10 et 11 avril à Alger sous la conduite des Premiers ministres Abdelaziz Djerad et Jean Castex. Cette question fait partie des crimes commis par le colonialisme français et exige réparation.

cette occasion ICAN France et l’Observatoire des armements qui rendent disponible en langue arabe** leur récente étude «Sous le sable  la radioactivité» , grâce au soutien  du député européen français Ecologie Les Verts Mounir Satouri soulignent que «la France doit regarder en face son héritage radiologique», «prendre en charge» les conséquences sanitaires et environnementales des essais nucléaires et»gérer les déchets provoqués par ses explosions».

Les deux ONG estime que pour sa part  l’Etat  algérien doit aussi «agir  en déployant des moyens de communications et des mesures  sanitaires» pour  aider les populations résidant dans le sud  du  Sahara et  renforcer  les mesures d’interdiction d’accès aux anciennes zones d’essais contaminées.

Aux travaux du 5ème CIHN d’Alger le dossier des effets et des conséquences des essais nucléaires devrait avoir toute sa place. La  commission mixte qui a été mise en place en 2007  et le nouveau groupe de travail algéro-français désigné en application de la « Déclaration d’Alger sur l’amitié et la coopération entre la France et l’Algérie », signée le 19 décembre 2012 seront-ils activés? Sachant que lequel groupe de travail ne s’est réuni qu’une fois en Algérie en 2016. La partie française livrera-t-elle enfin à son homologue algérienne documents et informations sur ces essais? 

Une réparation de leurs retombées et conséquences sur la population et l’environnement sahariens sera-t’elle enfin envisagée?

La loi française sur les archives du 15 juillet 2008 a créé une catégorie spéciale d’archives non communicables qui a trait à tout ce qui concerne le nucléaire, les rendant non communicables sans une autorisation spécifique du ministère de la Défense. Et qui renforce  ainsi le secret défense. Ces archives sont-elles concernées  par la décision du président Macron de «déclassification des documents couverts par le secret de la Défense nationale selon le procédé dit ‘de démarquage au carton’ jusqu’aux dossiers de l’année 1970 incluse»?

C’est peu probable quand on sait que la loi du 15 juillet 2008, dans son article 17 indique:  « II. ― Ne peuvent être consultées les archives publiques dont la communication est susceptible d’entraîner la diffusion d’informations permettant de concevoir, fabriquer, utiliser ou localiser des armes nucléaires, biologiques, chimiques ou toutes autres armes ayant des effets directs ou indirects de destruction d’un niveau analogue. ».

Sur la difficulté de l’État français de reconnaître son implication dans la prolifération nucléaire et qu’il a mis en danger, en connaissance de cause, la santé et la sécurité des populations en Algérie comme en Polynésie, selon Patrice Bouveret, directeur de l’Observatoire des armements et co-porte-parole d’ICAN France (El Watan du 13 février 2021) «l’ouverture des archives pourrait conduire, par exemple, à des actions juridiques à l’encontre de certains responsables…

L’arme nucléaire a été imposée en France dans le secret, sans que soit organisé de débat sur sa pertinence, son coût, ses conséquences à tout point de vue, les risques que cela entraîne. Rendre visible tous ces éléments entrainerait une remise en cause de sa pertinence, ce que les autorités politiques se refusent au mépris de la démocratie, au niveau national comme d’ailleurs au niveau international».

Selon l’observatoire français des armements, le nombre global de documents classés secret défense relatifs aux essais nucléaires français au Sahara et en Polynésie (1960 – 1996) déclassifiés par le ministère français de la Défense est dérisoire : moins de 5%. Et cette déclassification résulte de la procédure judiciaire engagée en 2004 par des associations de victimes des essais nucléaires français en Algérie et en Polynésie, l’Aven et Moruroa e tatou auprès du Parquet de Paris.

«Relecture officielle» des quelques rares documents déclassifiés

Sur les 154 documents déclassifiés en mars 2013 relatifs à l’Algérie – récupérés par les associations françaises des victimes des essais nucléaires en novembre 2013, une trentaine ont de l’intérêt, selon feu Bruno Barrillot, co-fondateur avec Patrice Bouveret de  l’observatoire des armements / Centre de documentation et de recherche sur la paix et les conflits (CDRPC), qui les avait analysés.

Bruno Barillot soulignait que la carte de “Gerboise bleue” (première bombe nucléaire que l’Etat français faisait exploser  en surface  le 13 février 1960  à Reggane, dans le sud algérien.

Une bombe de 70 kilotonnes, l’équivalent de quatre fois celle d’Hiroshima) qui faisait partie de ces documents déclassifiés “contredit la carte des retombées radioactives publiée par le ministère de la défense français en 2007 dans un document sur les essais français au Sahara, présenté comme un gage de transparence au moment où le gouvernement algérien organisait à Alger une conférence internationale sur les conséquences environnementales et sanitaires des essais nucléaires”. “La délimitation des retombées de Gerboise bleue du document de 2007 avait été sérieusement modifiée par rapport à ce qui s’est réellement produit en 1960 et n’indiquait plus qu’un minuscule ‘secteur angulaire ‘ couvrant une zone non habitée à l’est du point zéro de Hamoudia”.

Et d’indiquer que c’est cette carte de 2007 qui a servi à délimiter la zone géographique saharienne où devraient se trouver les personnels civils et militaires et les populations pour bénéficier de la loi d’indemnisation des victimes des essais nucléaires français du 5 janvier 2010, dite loi Morin, du nom du ministre de la Défense qui l’avait fait voter.

 Tandis que le rapport de 1996 intitulé « La genèse de l’organisation et les expérimentations au Sahara (CSEM et CEMO) » ne faisait pas partie des documents déclassifiés de la série saharienne alors qu’il avait été largement diffusé et commenté dans la presse en 2010. Sa divulgation, en 2009, par Damoclès (revue de l’Observatoire n° 128-129) a mis en évidence que les essais nucléaires français au Sahara n’ont pas été «propres».

Ce rapport, classé « confidentiel-défense», est une synthèse rédigée à partir des documents militaires d’époque, classés «secret» ou «confidentiel défense»… « Même s’il apporte des informations jusque-là non connues, il s’agit bien d’une ‘relecture officielle’ de la période des essais nucléaires français », note la revue Damoclès.

«Les rédacteurs ont dû trier dans les documents sources, ce qui explique les incohérences et surtout les silences et les omissions.» « C’est manifestement le cas pour les ‘‘ratés’’ des essais au Sahara, notamment Gerboise verte ou l’accident du tir Béryl».

Ainsi, on apprend que sur les treize tirs effectués entre 1961 et 1966, douze ont fait l’objet de fuites radioactives. Seul le tir «Turquoise» du 28 novembre 1964 n’aura pas provoqué de radioactivité à l’extérieur. “Les conséquences de ces radiations ne se sont pas arrêtées avec la fin des essais et la fermeture administrative des sites, mais perdurent aujourd’hui encore, à la fois compte tenu de la très longue durée de vie de certains éléments radioactifs et du fait que la France a laissé de nombreux déchets nucléaires enfouis dans le désert”, relèvent l’observatoire des rmements et ICAN France.

Une seule victime algérienne indemnisée

Dès le début des expérimentations nucléaires, la France a pratiqué une politique d’enfouissement de tous les déchets dans les sables. Le désert est alors vu comme un « océan », où du simple tournevis — comme le montrent des notes « Secret défense » et des photos — aux avions et chars, tout ce qui est susceptible d’avoir été contaminé par la radioactivité doit être enterré.

Dans leur étude «Sous le sable la radioactivité» rendue publique le 27 août 2020, ICAN France et l’Observatoire des armements notent que « La France n’a jamais dévoilé où étaient enterrés ces déchets, ni leur quantité. À ces matériaux contaminés, laissés volontairement sur place aux générations futures, s’ajoutent deux autres catégories : des déchets non radioactifs…. et des matières radioactives (sables vitrifiés, roche et lave contaminées) issues des explosions nucléaires ».

Pour Jean-Marie Collin, expert et porte-parole de ICAN France, « ces déchets sont de la responsabilité de la France et aujourd’hui du président Macron. Il n’est plus possible que ce gouvernement attende encore pour remettre aux autorités algériennes la liste complète des emplacements où ils ont été enfouis. Pourquoi continuer de faire peser sur ces populations des risques sanitaires, transgénérationnels et environnementaux ? ».

A propos de la loi de reconnaissance et d’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, dite loi Morin, il convient de préciser qu’elle a été obtenue en 2010 après plus de dix ans d’actions menées par les associations et leur soutiens auprès des parlementaires, des autorités politiques et militaires, des médias. Il a fallu ensuite encore quasi une dizaine d’années pour que la loi puisse commencer à bénéficier à des victimes.

De janvier 2010 à décembre 2019, seulement 363 personnes ont reçu une indemnisation dont seulement une personne réside en Algérie ! Soixante et un ans après le largage de la première bombe A à Reggane, le gouvernement français devrait enfin prendre en compte les demandes d’information et d’accès aux archives des essais nucléaires émanant des autorités et des associations de victimes algériennes.

Parce qu’assurer la transparence sur les essais nucléaires en déclassifiant les dossiers et rapports significatifs – il en reste des milliers – contribuerait à faire avancer la vérité et rendre justice aux victimes directes et aux générations futures.

Et aussi parce que la communication de la cartographie des sites d’enfouissement est primordiale pour les sécuriser et éventuellement regrouper les déchets selon des normes conformes à la réglementation internationale.

Source : El Watan

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