Comment Vladimir Poutine profite de la guerre à Gaza pour se renforcer sur la scène internationale

Alors que les regards de la communauté internationale sont tournés vers le Moyen-Orient et non plus vers l'Ukraine, le président russe a multiplié les voyages à l'étranger pour consolider ses liens avec ses partenaires. Il semble tirer profit de cette situation pour sortir de son isolement.

Vladimir Poutine n'a pas dit son dernier mot. Le président russe donne, jeudi 14 décembre, sa conférence de presse annuelle. Prévue pour durer plusieurs heures, cette intervention combinera une prise de parole du dirigeant, qui "fera le bilan de l'année", et un échange de questions-réponses avec le public, a précisé le Kremlin. Avec l'échec de la contre-offensive ukrainienne, l'absorption des sanctions occidentales par l'économie russe et l'attention internationale focalisée sur la guerre à Gaza, Vladimir Poutine paraît renforcé en cette fin d'année.

Pouvait-il espérer pareil scénario il y a moins de six mois ? Au milieu de l'année 2023, il vivait l'un des pires moments de sa présidence, déstabilisé par la rébellion des paramilitaires du groupe Wagner. Isolé par les Occidentaux, visé par un mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale, le dirigeant russe paraissait plus que jamais affaibli. Ces problèmes semblent désormais appartenir au passé. Tirant profit du conflit entre Israël et le Hamas, Vladimir Poutine a réussi à revenir sur les devants de la scène internationale.

Des avancées revendiquées sur le front

Les attaques du Hamas en Israël le 7 octobre ont donné une occasion inespérée à Vladimir Poutine de progresser sur le front ukrainien. Alors que l'attention mondiale était tournée vers le Moyen-Orient, la Moscou a obtenu plusieurs avancées, sans que celles-ci fassent l'objet de réactions internationales majeures. La Russie a ainsi attaqué sans relâche Avdiïvka, une ville industrielle de la banlieue de Donetsk, dans l'est de l'Ukraine. Plus au nord, elle a revendiqué la conquête d'un petit village près de Bakhmout.

Kiev n'est pas épargnée. Fin novembre, la capitale ukrainienne a subi sa plus importante attaque de drones depuis le début du conflit. L'armée de l'air ukrainienne a affirmé avoir abattu 71 engins. Un raid d'ampleur a de nouveau eu lieu dans la nuit du mardi 12 au mercredi 13 décembre. Les missiles russes ont fait plus de 50 blessés, le bilan humain le plus lourd depuis des mois.

Ces attaques interviennent alors que l'aide apportée à l'Ukraine ne fait plus autant consensus dans les pays occidentaux. Le Congrès américain a engagé plus de 110 milliards de dollars (environ 102 milliards d'euros) pour soutenir Kiev, mais républicains et démocrates n'ont pas réussi jusqu'ici à s'entendre sur une rallonge.

En Europe, Bruxelles a promis de débloquer 50 milliards d'euros pour l'Ukraine, mais la Hongrie bloque tout versement. L'enveloppe sera sur la table des négociations au sommet européen qui se tient à Bruxelles, jeudi et vendredi. Tout retard dans l'aide versée à l'Ukraine est un "rêve devenu réalité" pour Vladimir Poutine, a averti le président ukrainien, en visite lundi à Washington. Volodymyr Zelensky, qui a poursuivi sa tournée diplomatique en Norvège, mercredi, a encore une fois appelé ses alliés à maintenir leur précieuse aide.

A ce stade, "la guerre au Moyen-Orient sert les intérêts du Kremlin", explique auprès de franceinfo James Nixey, directeur du programme Russie et Eurasie au groupe de réflexion britannique Chatham House. Une diminution du soutien, notamment américain, à l'Ukraine "conduirait sûrement à une défaite [de Kiev] en quelques mois, voire quelques semaines", estime l'analyste.

Après bientôt deux ans de guerre, les avions F-16 promis à l'Ukraine ne sont toujours pas livrés et les approvisionnements en obus d'artillerie diminuent. De son côté, Moscou entend augmenter de 70% le budget de son armée pour 2024. Le 1er décembre, Vladimir Poutine a signé un décret ordonnant d'augmenter de 15% le nombre de soldats que compte l'armée russe, afin de porter ses effectifs à 2,2 millions de combattants.

Une inflexion de sa stratégie au Moyen-Orient

La guerre à Gaza est aussi un moyen pour Vladimir Poutine d'accroître son influence au Moyen-Orient en s'y présentant comme un artisan de la paix. "Nous entretenons des relations très stables avec Israël, nous entretenons des relations amicales avec la Palestine", se félicitait le président russe en octobre, cité par l'agence Reuters. Depuis la chute de l'URSS, "la diplomatie russe parle aussi bien avec les Saoudiens, les Iraniens, les Israéliens, ou le Qatar, qu'avec le Hamas ou le Hezbollah", énumère auprès de franceinfo David Teurtrie, spécialiste de la géopolitique russe.

La stratégie de Moscou, qui remonte à l'époque des tsars, "est qu'il ne faut pas se ranger du côté des uns contre les autres, mais les laisser s'opposer les uns aux autres", précise Mark Katz, spécialiste américain de la politique étrangère de la Russie, dans un article de Foreign Policy.

Membre du Quartet pour le Moyen-Orient, Moscou est le seul Etat à dialoguer avec toutes les parties, et promeut, comme les Etats-Unis ou l'Europe, une solution à deux Etats. Mais depuis le 7 octobre, la Russie a infléchi sa position. Au Conseil de sécurité de l'ONU, Moscou a voté en faveur d'un cessez-le-feu. "Quand vous regardez les enfants souffrants et couverts de sang, vos poings se resserrent et les larmes vous montent aux yeux", a déclaré Vladimir Poutine à propos du sort des Palestiniens, rapporte Reuters. Il a également comparé le blocus de Gaza par Israël au siège de Leningrad par l'Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale, rappelle le magazineTime. Surtout, des diplomates russes ont reçu une délégation du Hamas, provoquant la colère d'Israël.

 

"Le contexte de cette rencontre peut toutefois étonner vu l'ampleur des attaques commises", souligne David Teurtrie. Car jusqu'ici, la Russie et Israël entretenaient d'excellents rapports. Benyamin Nétanyahou a l'habitude d'appeler Vladimir Poutine son "cher ami" et s'est rendu en Russie plus de dix fois depuis 2015, rappelle le magazine Time. A la suite de l'invasion russe en Ukraine, Israël n'a pas imposé de sanctions financières à Moscou et a refusé d'envoyer des armes à Kiev.

"C'est une phase difficile dans la relation russo-israélienne, mais la relation entre les deux pays est suffisamment résiliente pour ne pas atteindre le point de rupture", observe auprès de franceinfo Igor Delanoë, directeur adjoint de l'Observatoire franco-russe à Moscou. Les Russes "sont devenus voisins d'Israël" via leur implication dans la guerre en Syrie, et aucune partie ne souhaite que la relation se détériore, "ni que le conflit à Gaza se régionalise", ajoute Igor Delanoë. 

Une façon de promouvoir un "nouveau monde"

En adoptant une position plus ouvertement pro-palestinienne, la Russie de Vladimir Poutine cherche à s'attirer les faveurs des pays dont les populations sont particulièrement sensibles à cette cause. Le Kremlin n'a cessé de critiquer le "double standard" des Occidentaux dans ce conflit. Moscou estime que "les Occidentaux acceptent qu'Israël bombarde la bande de Gaza et que des civils soient tués sans qu'aucune sanction ne soit prise, alors que la Russie avait été condamnée dès les premiers jours du conflit en Ukraine", étaye Igor Delanoë.

Ces déclarations s'inscrivent dans la bataille plus large menée par la Russie contre l'Occident, qui serait à l'œuvre dans ce que Vladimir Poutine baptise "l'affreux système néocolonial des relations internationales". Le dirigeant russe veut mettre en place un "nouveau monde" qui mettrait fin à la domination américaine pour promouvoir un système multipolaire. Cette rhétorique, qui rappelle le discours tenu par les dirigeants soviétiques durant la guerre froide, est également utilisée par Vladimir Poutine en Afrique et en Amérique du Sud.

Des relations économiques consolidées

Depuis le 7 octobre, Moscou a également renforcé ses relations avec ses partenaires traditionnels. Le 17 octobre, faisant fi du mandat d'arrêt international lancé à son encontre, Vladimir Poutine s'est rendu en Chine pour rencontrer le président Xi Jinping. La Chine est le premier partenaire commercial de la Russie, avec des échanges estimés à 190 milliards de dollars (environ 176 milliards d'euros) en 2022. 

Il s'agissait de son premier déplacement auprès d'une grande puissance mondiale depuis le début de la guerre en Ukraine, fin février 2022. Lors de la rencontre avec son "cher ami" Xi Jinping, le président russe a défendu les nouvelles routes de la soie, un gigantesque projet d'infrastructures terrestres et maritimes porté par Pékin dans une centaine de pays afin de relier l'Asie et l'Europe.

Par la suite, le président russe s'est rendu aux Emirats arabes unis et en Arabie saoudite. L'un des enjeux de ces visites était d'aborder la réduction de la production de pétrole dans le cadre de l'Opep+, une alliance de pays exportateurs de pétrole dont Moscou est membre. Les dirigeants ont également abordé leurs projets communs autour de l'énergie. "Les Saoudiens veulent s'équiper d'un parc nucléaire, et les Russes veulent y concourir via leur entreprise Rosatom", l'agence fédérale de l'énergie atomique, illustre Igor Delanoë.

Le 7 décembre, Vladimir Poutine a reçu au Kremlin le président iranien Ebrahim Raïssi. Outre le soutien militaire apporté par Téhéran à la Russie dans la guerre en Ukraine, les deux pays entendent développer un accord sur la création d'une zone de libre-échange entre l'Iran et l'Union économique eurasiatique, dirigée par Moscou.

"Si l'on compare la situation de Vladimir Poutine cet été à celle d'aujourd'hui, le président russe apparaît plus que jamais confiant", analyse James Nixey. "Alors que l'Occident se divise sur la guerre à Gaza, il se représente à une élection présidentielle qu'il est sûr de remporter, et pourrait rester au pouvoir jusqu'en 2030…" Mais cette période va-t-elle durer ? La guerre en Ukraine n'est pas terminée, et Kiev est loin de la capitulation. Quant aux efforts diplomatiques russes pour un cessez-le-feu à Gaza, ils se heurtent à ce jour au veto des Etats-Unis à l'ONU et à la volonté de l'Etat hébreu de poursuivre son offensive.

Source: franceinfo

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