Avec leur rejet massif par l’opposition historique et le hirak, les élections législatives prévues le 12 juin risquent de connaître une désaffection similaire à celles observées lors des derniers scrutins. Les tenants du pouvoir vont devoir s’en remettre à leur vivier de forces désavouées, FLN et RND en tête, conforté par le réservoir islamiste «BCBG» et quelques organisations encore en gestation.
Ce samedi 3 avril, le FFS a annoncé à son tour, à travers une résolution de son conseil national, sa non-participation aux élections législatives. Le parti estime que «les conditions de la tenue du prochain scrutin législatif du 12 juin ne sont pas réunies», et que «les élections ne constituent pas la solution à la crise multidimensionnelle que vit le pays».
D’aucuns espéraient en haut lieu une participation du Front des forces socialistes à cette consultation, ce qui aurait constitué une caution de poids et aurait conféré à ces élections une certaine crédibilité.
Avec la défection du FFS, qui vient s’ajouter à celle du PT, du RCD, du MDS, de l’UCP et d’autres formations encore, c’est toute l’opposition historique qui rejette le scrutin.
La classe politique frondeuse vient ainsi s’aligner sur le choix exprimé chaque vendredi par les hirakistes par milliers, dans plusieurs wilayas du pays. Un désaveu retentissant pour la feuille de route de M. Tebboune. Le pouvoir post-Bouteflika risque ainsi d’essuyer un autre revers dans son processus de restauration de l’Etat et de reconstruction institutionnelle après la chute de Bouteflika.
Si on reprend le film de ces deux dernières années, la présidentielle du 12/12 qui s’est déroulée dans des conditions épiques après deux reports, celui du 18 avril et celui du 4 juillet 2019, a enregistré un taux d’abstention de 60%, un record pour une élection présidentielle. Le référendum constitutionnel du 1er novembre 2020 a attiré encore moins de votants, avec près de 77% d’abstention. Et la prochaine élection ne risque pas de drainer les foules.
Au demeurant, même si les législatives du 12 juin faisaient un meilleur score que celles du 4 mai 2017 (38,25%), cette élection est un échec programmé. En premier lieu parce que les députés qui siégeront au palais Zighout Youcef ne vont pas bouleverser l’échiquier politique traditionnel ni la cartographie politique en place. Avec le boycott de tout le courant progressiste, les tenants du pouvoir actuel vont devoir s’en remettre à leur vivier de forces désavouées, FLN et RND en tête, conforté par le réservoir islamiste «BCBG» et quelques organisations encore en gestation.
Cet attirail hétéroclite ne nous donne effectivement pas le sentiment qu’il va révolutionner la composition de l’Assemblée, encore moins la prestation de l’institution législative. Le 13 juin 2021, nous aurons peut-être une «nouvelle» APN, mais celle-ci, in fine, ne différera en rien de la précédente et souffrira fatalement d’un problème de représentativité et, partant, de légitimité.
Échec programmé
L’autre raison pour laquelle cette élection est un échec programmé est la célérité avec laquelle cela a été décrété. La décision d’organiser ces législatives a été pour le moins précipitée et n’a guère permis au débat de mûrir avant de décider de son timing. L’annonce était surtout faite dans un contexte de forte pression, ajoutée à la longue absence, pour raison médicale, du chef de l’Etat.
On sentait Abdelmadjid Tebboune pressé de «lâcher» quelque chose, faire une annonce, donner un coup d’accélérateur à ses réformes après une longue léthargie. Et dès lors que c’est sorti de sa bouche le soir de ce 18 février, le processus était enclenché sans laisser le temps à de nouvelles forces de se préparer. C’est donc un énième changement cosmétique qui se profile, et qui ne fera qu’aggraver le gap qui sépare l’équipe post-Boutef du «peuple du hirak.»
Malgré ces perspectives peu excitantes, tout porte à croire que le régime va camper sur sa feuille de route et poursuivre son calendrier sans broncher, faisant fi des masses qui grondent et du mécontentement populaire qui monte.
Dans cet entêtement, on sent comme une forme de déni de réalité, exactement comme il y a deux ans, un peu plus, lorsque le clan Bouteflika, avec une arrogance et un aveuglement spectaculaires, a pensé pouvoir faire passer le 5e mandat sans rencontrer de résistance. Il y a un peu de ce déni-là nous semble-t-il, oui, dans la manière dont les choses sont faites actuellement.
Il n’y a qu’à voir la copie rendue par la télévision publique et l’armada médiatique de manière générale, l’Algérie enregistrant un recul effrayant en matière de liberté de la presse. La poursuite des arrestations, les nombreux témoignages qui accablent les forces de sécurité, la fermeture du champ politique…autant d’indices qui confortent beaucoup de nos compatriotes dans l’idée que rien, absolument rien n’a changé depuis la chute de Abdelaziz Bouteflika.
«El hirak el asli»
Dans leurs interventions publiques, M. Tebboune et ses communicants, parlent d’«el hirak el asli», «le hirak authentique», en évoquant le mouvement populaire du 22 Février, par opposition au «néo-hirak», selon le mot de M. Belhimer. Ce néo-hirak ou «hirak acte II» serait radical, belliqueux, pris en otage par des jusqu’au-boutistes, des extrémistes, et aurait des prolongements à l’extérieur.
Il serait animé par des desseins obscurs et viserait rien de moins que de déstabiliser l’Algérie sous l’instigation d’officines étrangères. Cette lecture, si elle est louable pour son souci de vigilance et l’élan patriotique qui la sous-tend, n’aide pas vraiment à sortir de l’impasse dans laquelle notre pays s’enlise et elle ne fait qu’aggraver la crise.
Car, il faut bien l’admettre : nous avons sur les bras une crise politique en bonne et due forme, et son règlement exige l’écoute de ce que les Algériennes et les Algériens ont à dire, tout particulièrement ces centaines de milliers de citoyens qui ont battu le pavé pendant 62 vendredis et continuent à sortir. Faute de quoi, la fracture ne fera que s’approfondir entre l’élite dirigeante et le mouvement de contestation, qui continue à mobiliser malgré les doutes, le Covid, la répression, les divisions…
Comme le préconisait la chercheuse Amel Boubekeur, il faudrait peut-être commencer par «décriminaliser» le hirak. «L’évolution politique de la situation en Algérie, écrit-elle, dépendra principalement de la capacité du régime, et en particulier du Président, à décriminaliser le hirak et ainsi permettre sa normalisation politique de manière intra ou extra-institutionnelle. Après deux ans de blocage, une transformation des règles du conflit est impérieuse. La répression des demandes de changement n’a pas résolu les nombreux dysfonctionnements liés à l’effondrement de l’Etat comme outil de gouvernance ni affaibli la contestation.» (tribune publiée dans Le Monde du 22 février 2021)
De son côté, le hirak est appelé, sinon à s’organiser, sachant que la question du leadership est loin de faire consensus, à tout le moins à dégager des organisations de différentes sensibilités, et versées dans différentes disciplines, qui prépareraient le terrain pour le changement. Le vrai.
Source : El Watan