L’Italie réfléchit à une sortie “en douceur“ et rejoint la concurrence de l’initiative chinoise la Ceinture et la Route

L’Italie est à la recherche d’un moyen de quitter l’initiative chinoise la Ceinture et la Route (BRI) sans faire dérailler ses relations avec Pékin, alors que le géant asiatique voit ses ambitions économiques mondiales mises à mal.

Confirmant ses intentions, Rome a rejoint un projet faisant partie du Partenariat pour l'investissement mondial dans les infrastructures (PGII) – une initiative dirigée par l'Occident pour financer des projets d'infrastructure à travers le monde.

Le PGII inclut le nouveau corridor économique Inde-Moyen-Orient-Europe (IMEC), dévoilé lors du sommet du Groupe des 20 (G-20) à New Delhi ce week-end, qui est considéré comme un concurrent à la BRI.

Le gouvernement de droite de la Première ministre Giorgia Meloni a ouvertement déclaré qu'il envisageait de sortir de l'accord, signé avec la Chine en 2019, alors que l'Italie avait choqué les partenaires américains et européens en devenant le premier pays du G7 à rejoindre la BRI, le plus grand projet d’infrastructure mondial jamais réalisé.

Dans le cadre de cette initiative, les banques et les entreprises chinoises ont tout financé et construit, depuis les centrales électriques, les chemins de fer, les autoroutes et les ports jusqu'aux infrastructures de télécommunications, aux câbles à fibre optique et aux villes intelligentes à travers le monde.

Alors que son protocole d’accord de cinq ans doit être renouvelé en mars 2024, l’Italie semble prête à se retirer de l’accord après avoir exprimé sa frustration face aux promesses non tenues de l’initiative.

L'Italie devrait annoncer d'ici décembre si elle met officiellement fin à sa participation au projet historique chinois.

Selon l'accord initial, les deux parties peuvent mettre fin à l'accord après cinq ans, sinon le partenariat est reconduit pour une durée supplémentaire de cinq ans. L’Italie a jusqu’à fin 2023 pour faire savoir à la Chine si elle souhaite mettre fin à l’accord.

- Sortie imminente ?

Meloni a rencontré samedi le Premier ministre chinois, Li Qiang, en marge du sommet du G20 à New Delhi, et la question de la BRI a été mise sur la table.

"Certaines nations européennes n'ont pas fait partie de la Ceinture et de la Route ces dernières années, mais ont pu forger des relations (avec la Chine) plus favorables que celles que nous avons parfois réussi à faire", a déclaré Meloni, lors d'une conférence de presse à l’issue du sommet.

“La question est de savoir comment garantir un partenariat bénéfique pour les deux parties, en dehors de la décision que nous prendrons sur la BRI“, a-t-elle ajouté.

Meloni n'a pas dévoilé quelle serait sa décision finale, mais a rappelé que le Parlement italien était en train d'évaluer la situation.

Dans un même contexte, la participation de l’Italie au mémorandum d’accord signé entre l’Inde, les États-Unis, l’Arabie saoudite, l’UE, les Émirats arabes unis, la France et l’Allemagne pour créer l’IMEC a été considérée comme une décision confirmant sa sortie imminente de la BRI.

En réponse aux projets d’infrastructure entrepris et financés par la Chine, dans le cadre de la BRI, le G7 a décidé de présenter son propre mécanisme alternatif.

L'IMEC est envisagé comme un réseau de corridors de transport, incluant des lignes ferroviaires et des voies maritimes, qui devraient contribuer à la croissance économique grâce à l'intégration entre l'Asie, le Golfe Arabique et l'Europe.

D’un autre côté, pour tenter de surmonter le scepticisme de Rome, la Chine insiste sur le fait que la BRI a “porté ses fruits“ en Italie.

Le ministre des Affaires étrangères, Wang Yi, a déclaré que la coopération avec l'Italie dans le cadre de la BRI a été positive, les produits italiens de haute qualité ayant réussi à faire leur entrée dans “des milliers de foyers“ en Chine.

"L'amitié millénaire héritée de l'ancienne Route de la Soie perdure", a déclaré Wang, lors d'une récente visite à Rome.

Les analystes soulignent que l’Italie avait plusieurs raisons d’être attirée par la BRI.

Après avoir souffert de trois récessions en une décennie, Rome était à la recherche d’investissements et d’un élargissement des accès pour les exportations italiennes à l’immense marché chinois.

À l’époque, de nombreux Italiens se sentaient abandonnés par l’Europe, alors que le gouvernement populiste de Rome était sceptique à l’égard de l’UE, et donc plus que disposé à se tourner vers la Chine pour répondre à ses besoins d’investissement.

La Chine avait également ses propres raisons de courtiser l’Italie.

Le pays a servi de terminus majeur pour l’ancienne Route de la Soie, et l’inclusion de l’Italie dans la BRI a aidé le président Xi Jinping à présenter son initiative phare de politique étrangère comme le début d’un âge d’or de l’influence chinoise.

Les deux pays entretiennent également des liens de longue date : l’Italie abrite la plus grande population chinoise d’Europe, tandis que les deux pays partagent des liens commerciaux profonds dans la production de tissus, d’articles en cuir et entre autres biens.

Alors que la Chine cherchait à accroître son influence en Europe et tentait d’exploiter les divisions entre Washington et Bruxelles, l’Italie apparaissait comme le point d’entrée idéal.

- Le facteur américain

Les premiers signes clairs de l’intention de l’Italie de quitter la BRI sont apparus lorsque Meloni a rencontré le président Joe Biden à la Maison Blanche, en juillet dernier.

Dans une déclaration commune, les deux dirigeants n’ont pas ouvertement évoqué un éventuel retrait de l’Italie de l’accord.

Cependant, le communiqué note que les deux dirigeants “réaffirment leur engagement à […] renforcer la résilience économique et la sécurité économique, y compris les efforts […] pour accroître notre évaluation collective, notre préparation, notre dissuasion et notre réponse à la coercition économique“.

La référence tacite à la Chine était sans équivoque.

Quelques jours plus tard, le ministre italien de la Défense, Guido Crosetto, a déclaré que la décision du pays de rejoindre la BRI en 2019 était à la fois “improvisée et atroce“.

Selon Crosetto, le gouvernement de l'ancien Premier ministre Giuseppe Conte, leader du Mouvement populiste Cinq étoiles, avait signé l'accord dans l'espoir d'augmenter les exportations italiennes vers la Chine.

Au lieu de cela, a-t-il noté, l’accord “a conduit à un résultat doublement négatif“.

"Nous avons exporté un chargement d'oranges vers la Chine, ils ont triplé les exportations vers l'Italie en trois ans", a-t-il déclaré.

Les médias chinois et les porte-parole du gouvernement ont mis en garde contre les “impacts négatifs“ d’un retrait italien.

“La Chine pourrait tenter de punir l’Italie d’une certaine manière. Après tout, c’est son droit de le faire“, a déclaré Francesco Sisci, sinologue, auteur et chroniqueur italien, qui vit et travaille à Pékin.

“L’Italie a rejoint la BRI de son plein gré et personne ne l’a forcée à le faire. Quoi qu’il en soit, c’est le bon moment pour l’Italie de commencer à avoir une politique asiatique meilleure, globale et bien raisonnée. L’Italie n’en a jamais eu“, a-t-il ajouté.

- L'UE riposte

L’UE elle-même en est venue à considérer la BRI comme un défi de taille.

En réponse à la BRI, elle a créé en 2021 ce qu’elle a baptisé le Global Gateway, qualifié d’“offre positive de l’UE aux pays partenaires pour soutenir leur résilience et leur développement durable“.

L’UE s’est engagée à investir 300 milliards d’euros (350 milliards de dollars) entre 2021 et 2027 dans des projets allant de la lutte contre le changement climatique à la santé, l’énergie, les transports, les infrastructures et la numérisation.

Le financement européen n’est rien en comparaison aux plus de 2 000 milliards de dollars que Pékin a investis dans des projets de constructions à l’étranger, et dans diverses autres formes d’investissement au cours des deux dernières décennies.

Cependant, le Global Gateway signifie que l’UE a reconnu que les mots seuls ne parviendront pas à détourner un pays de la BRI.

L’économie chancelante de la Chine, provoquée en partie par la détermination de Xi Jinping à soutenir des entreprises publiques inefficaces, nuit également à la BRI et crée une réelle opportunité pour le Global Gateway de servir d’alternative crédible aux efforts chinois.

Si l’UE peut continuer à étendre ses propres efforts de Global Gateway, alors que l’économie chinoise continue d’avoir du plomb dans les ailes, il est possible que d’autres participants à la BRI suivront l’exemple de l’Italie et envisageront de se retirer du “projet phare“ lancé par Xi Jinping en grande pompe, il y a une décennie.

- Sortie “très délicate“

Cependant, les analystes politiques notent qu’il sera difficile pour l’Italie de trouver une manière “douce“ de revenir sur l’accord, sans nuire irrévocablement aux relations avec la Chine.

“Beaucoup d’enjeux dépendent de la gestion du problème“, a déclaré Sisci.

"C'est très délicat : l'Italie a commis de graves erreurs et la future direction aura besoin de compétences encore plus grandes et meilleures".

Le sinologue italien a souligné que, étant donné que l'Amérique lançait également sa propre initiative, d'autres pays pourraient également avoir leurs propres projets.

“Alors la Chine pourrait penser qu’en raison des nombreuses initiatives qui copient son projet, l’idée de la BRI était bonne. Ou plutôt, en raison des difficultés rencontrées pour convaincre d’autres pays importants d’y adhérer, il se peut qu’il se rende compte qu’il existe des problèmes dans sa mise en exécution“, a-t-il conclu.

D’autres ont observé que Meloni sait bien à quel point ce retrait est crucial pour les États-Unis et combien il est important pour l’Italie d’être pleinement cohérente avec sa position euro-atlantique.

“En revanche, Meloni hésite. En effet, la pression de ses partenaires de la coalition eurasienne s’est accrue, et une partie importante du monde des affaires italien l’a assiégée pour maintenir la BRI telle quelle, et éviter des représailles chinoises“, a déclaré Francesco Galietti, fondateur du groupe de réflexion, Policy Sonar.

“Meloni a décidé de gagner du temps, mais c'est un jeu dangereux. La vraie question est de savoir ce qu’elle devra offrir à la Chine en échange. Nous verrons de quel côté penchera la balance“, a conclu Galietti.

Source: AA

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