Après le coup d'Etat du 26 juillet au Niger, différentes fausses informations ont circulé sur les réseaux sociaux. Parfois relayées par des réseaux d'influence prorusse, elles diffusent une rhétorique anti-Occident.
Vous avez peut-être entendu ces rumeurs ces dernières semaines : l'ambassade de France à Niamey serait privée d'eau et d'électricité, les exportations d'uranium auraient été interdites, un contingent de Wagner serait arrivé dans le pays… Un peu plus d'un mois après le putsch au Niger, les fausses informations continuent de prospérer sur les réseaux sociaux, tandis que le nouveau régime militaire fait pression sur les journalistes du pays.
Le dénominateur commun de ces fake news ? Une rhétorique anti-Occident, déjà existante avant le coup d'Etat et parfois alimentée par des réseaux d'influence prorusses.
Des rumeurs qui discréditent la présence française au Niger
L’ultimatum de 48 heures lancé par les putschistes à l’ambassadeur de France au Niger a expiré dimanche 27 août, mais Paris a refusé de se soumettre aux exigences de la junte. Aussitôt, un compte anonyme prorusse a prétendu que l'eau et l'électricité de l'ambassade française à Niamey avaient été coupées – une rumeur relayée par le média d'Etat russe Russia Today.
Il existe bien un communiqué, diffusé sur X, du Comité national de soutien au Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), la junte au pouvoir, réclamant la suspension de l'alimentation en eau et en électricité des locaux de la représentation française à Niamey. Jointe par franceinfo mardi 29 août, une source diplomatique a démenti cette rumeur : "Nous avons toujours l'eau et l'électricité. Cette fausse information tourne en boucle, mais ce n'est pas exact."
Dans la même lignée, une rumeur relayée sur X par le journaliste américain prorusse Jackson Hinkle affirme que la junte a donné l'ordre à l'armée d'arrêter des Européens. Faux : le général putschiste Abdourahamane Tiani a déclaré le 2 août que les ressortissants français "n'ont jamais fait l'objet de la moindre menace".
Une autre fausse allégation suggérait que la junte avait interdit les exportations d'uranium vers la France, provoquant même des coupures de courant dans le pays, relève le média nigérien Studio Kalangou, qui a fact-checké la rumeur.
Pourtant, aucun communiqué du CNSP ne mentionne cette interdiction. Les putschistes ont seulement fermé les frontières du pays, avant de les rouvrir partiellement. Le groupe nucléaire français Orano, ex-Areva, a précisé le 3 août dans un communiqué que l'activité d'extraction d'uranium continuait au Niger.
Un "sentiment anti-français" est-il à l'origine de ces rumeurs ? Pour Stanislas Poyet, correspondant de Radio France au Niger, agressé lors d'un reportage le 19 août, il s'agit plutôt d'un "sentiment anti-politique de la France", c'est-à-dire dirigé vers la politique française au Niger plus que vers les citoyens français sur place. "C'est un sentiment ancré chez beaucoup de Nigériens qui ne comprennent pas la présence de la France au Niger", relate le journaliste. Selon lui, ce sentiment est "antérieur au coup d'Etat". Bruno Fuchs, député du Haut-Rhin (MoDem) et délégué général de l'Assemblée parlementaire de la francophonie, a aussi écarté auprès de franceinfo l'existence de ce "sentiment anti-Français", estimant que la France était plutôt utilisée comme "bouc émissaire" dans le jeu diplomatique.
"Mettre tout sur le dos de la France"
La France a aussi été accusée d'ingérence dans la crise nigérienne. Selon la radio d'Etat algérienne, elle s'est vu refuser le survol du territoire algérien pour une opération militaire au Niger. Une rumeur démentie par l'état-major français mardi 22 août, rapporte l'agence Reuters.
"La France n'a pas besoin de passer par l'Algérie pour emmener ses troupes au Niger ! Elle a 1 500 soldats au Niger, il y a des bases militaires françaises au Sénégal, au Gabon…" réagit auprès de franceinfo Seidik Abba, journaliste, chercheur associé et président du Centre international d’études et de réflexions sur le Sahel (Cires).
Pourquoi cette crainte d'une ingérence étrangère ? Parce que la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) est perçue par les pro-putschistes comme alliée des Occidentaux, notamment après avoir promis le 10 août d'intervenir afin de "restaurer l'ordre constitutionnel".
Peu avant cette déclaration, une vidéo qui a circulé début août montrait les "premiers avions de chasse" français à l'aéroport de Dakar (Sénégal), pays membre de la Cédéao. L'état-major français a démenti le 7 août, et une source militaire a confirmé à l'AFP que la vidéo remontait à mi-novembre 2021. Il s'agissait en réalité de trois avions Rafale qui faisaient escale à Dakar, direction Cayenne (Guyane).
"Il y a un contexte sahélien, un narratif où l'on va mettre tout sur le dos de la France, souligner ses mauvais résultats en matière de lutte contre l'insécurité", selon Seidik Abba. Paris est critiqué pour sa présence militaire au Niger et son inefficacité dans l'opération antiterroriste Barkhane. "Il y a aussi un courant souverainiste : pour être de bons panafricains, il faut s'opposer à l'Occident. Tout marche, comme critiquer la Cédéao, cet 'instrument au service de la France'", résume le journaliste.
La désinformation russe "a surfé sur la vague"
La prolifération de fake news anti-Occident profite surtout à la Russie, qui, depuis plusieurs décennies, étend son influence sur le continent africain, au point de concurrencer la France. Une influence croissante observée par le reporter Stanislas Poyet : "Du jour au lendemain, on a vu arriver des drapeaux russes dans les manifestations, témoigne-t-il. Après, la colère n’est pas créée par la Russie. Cette dernière souffle sur les braises." Emmanuel Macron voit d'ailleurs en Moscou une "puissance de déstabilisation de l'Afrique".
La chaîne Afrique Média TV, partenaire du média d'Etat Russia Today, a par exemple publié le 9 août une vidéo de Mohamed Bazoum marchant, décontracté, après avoir signé sa démission. Or, le président déchu est en réalité détenu dans la résidence présidentielle depuis le 26 juillet, dans des conditions dénoncées par la communauté internationale. La vidéo circulait déjà sur TikTok depuis avril 2023, soit trois mois avant le coup d'Etat.
Dans d'autres cas, la Russie a contribué directement à la désinformation sur le Niger, ciblant encore une fois la France. Début août, Paris a ainsi été accusé à tort de "procéder à un enlèvement massif d'enfants" dans tout le Niger, potentiellement "à des fins d'esclavage et d'exploitation sexuelle". Cette rumeur a été diffusée par la Fondation pour combattre l'injustice, ONG fondée par l'ancien patron de Wagner Evguéni Prigojine, tué le 23 août dans un crash d'avion.
Début août, la France était soupçonnée de préparer un complot de "déstabilisation" et de libérer des terroristes, sur la page Facebook "Infos du Faso". Cette page fait en réalité partie d'un vaste réseau de faux sites de médias et de pages Facebook, gérés par le Groupe panafricain pour le commerce et l'investissement (GPCI). Identifiée par le collectif international All Eyes On Wagner, cette agence de communication proche du groupe de mercenaires russes avait déjà orchestré une campagne de désinformation en 2021, en soutien à la junte militaire au Burkina Faso.
Ces campagnes ont pour but d'"accréditer l'idée que Moscou ferait mieux", estime Seidik Abba. Face à une France décriée, la Russie apparaît comme un recours crédible, par exemple avec cette fausse allégation d'arrivée d'un contingent de Wagner au Niger, relayée sur le réseau social X. Si des mercenaires du groupe ont bien été actifs au Mali ou en République centrafricaine, il n'y a aucune preuve de leur présence dans le pays, même si Washington craint de les voir s'y implanter.
Depuis plusieurs années, Wagner a fait de la désinformation une arme, en s'appuyant sur plusieurs méthodes : financement de médias africains et de journalistes, ainsi que sponsoring de contenus publicitaires sur les réseaux sociaux pour manipuler l'opinion, selon une étude de l'Institut de recherche stratégique de l'Ecole militaire (PDF).
Toutefois, ce qui se passe au Niger n'est pas comparable aux campagnes russes de désinformation qui ont auparavant balayé d'autres pays du Sahel. Depuis 2020, le Niger est le troisième pays de la région à connaître un coup d'Etat, après le Mali et le Burkina Faso. Dans ces pays, "la désinformation a eu lieu en amont, sur un temps long. Pour le Niger, c'était plutôt spontané. Les campagnes [de désinformation russe] qui ont été lancées étaient opportunistes : elles ont récupéré le coup d'Etat et surfé sur la vague", avance l'analyste Casus Belli*, spécialiste de l'ex-URSS et de l'Afrique.
"J'ai l'impression que les usines à trolls russes n'ont pas été sollicitées tant que ça pour ce coup d'Etat, contrairement à ce que l'on a pu voir au Burkina Faso", appuie Rémi Carayol, journaliste indépendant spécialiste du Sahel. D'ailleurs, rappelle-t-il, "la Russie a dans un premier temps dénoncé le coup d'Etat au Niger". Toutefois, souligne le journaliste, le pays pourrait représenter un potentiel marché de désinformation pour le groupe Wagner.
Source: France Info