Les relations Algérie-France et le retour à la case crise

Signe d'une nouvelle crise dans les relations entre les deux pays, l'agence de presse officielle algérienne (APS) a vivement attaqué la chaîne d’information officielle française France 24, sur fond de son traitement des récents feux de forêt dans le pays.

L'APS a publié, le 27 juillet dernier à minuit, un câble dans lequel elle qualifiait France 24 de "racaille" et "de chaîne du mal, du chaos et de la manipulation" ; l'accusant de traiter la question des incendies d'une manière qui "contredit les réglementations et les règles des médias".

L'agence a accusé Paris de soutenir le traitement de la chaîne, qui sert, selon ses déclarations, les plans du mouvement séparatiste "MAK" (revendiquant la sécession de la région de Kabylie en Algérie), que les autorités algériennes ont classé depuis 2021 en tant qu’organisation terroriste.

La virulence du ton du câble révèle une nouvelle détérioration des relations franco-algériennes, dont les signes annonciateurs semblent avoir commencé en mai dernier, sur fond du report d'une visite du président algérien Abdelmadjid Tebboune, qui devait se rendre à Paris.

Le 25 juillet, l'Algérie a été le théâtre de feux de forêt de grande ampleur qui ont tué 34 personnes et blessé plus de 80 autres.

Deux jours plus tard, le Conseil judiciaire d'Alger (la capitale) a annoncé l'arrestation de 12 suspects d'incendies criminels, et ils ont été déférés devant la section antiterroriste et crime organisé du tribunal de Sidi Mohamed.

 

** Désinformation à tout-va

L’agence de presse algérienne a critiqué le traitement de France 24 des incendies qui comprend "beaucoup de désinformation", malgré les feux de forêt qui ravagent plusieurs pays européens, selon le câble.

"En Corse, en France, en Espagne et en Algérie, des scènes multiples et répétées : des hectares (un hectare équivaut à 10 000 mètres carrés) de forêts en feu, ravagés par les flammes, faisant des dizaines de victimes. Pourtant, France 24, en ciblant l'Algérie , n'a pas respecté les règles déontologiques élémentaires de la profession, par sa violation totale des règles et des règlements des médias“, a déclaré l’APS.

"Les personnes travaillant pour la chaîne racaille France 24, qui reçoit des ordres à propos de l'Algérie d'un proche de l'Elysée..., devraient faire preuve d'un peu d'objectivité en ces temps difficiles et douloureux", poursuit l'agence.

Elle a explicitement accusé les autorités françaises de soutenir l'approche de la chaîne, en affirmant que “l’autorité officielle en France qui a attaqué les réseaux sociaux et les a accusés d'alimenter le feu de la haine après la mort de Nahel, qui a déclaré par l'intermédiaire du porte-parole du gouvernement qu'il fallait "couper" (désactiver les réseaux sociaux) en cas de crise, elle est appelée à faire attention à ce qui se passe dans son pays et à arranger ses affaires en premier".

L'agence a considéré que la France n'est pas en mesure de donner des leçons, alors que les réseaux sociaux et la liberté d'expression ont été réprimés lors de manifestations de solidarité avec la famille du jeune Nahel (d'origine algérienne), abattu par un policier français.

L'agence a démenti les accusations de négligence ou d'incapacité du pays à faire face aux incendies, énumérant les "énormes" capacités dont se sont dotées les autorités pour les éteindre, notamment l'acquisition d'un "Beryev 200" de fabrication russe d'une capacité de 12 000 litres, de 6 avions et 12 hélicoptères, et "seule l’Algérie dispose de ces moyens dans la région", explique le câble.

"Malgré les conditions météorologiques défavorables à l'intervention aérienne des avions de lutte contre les incendies le premier jour, tous les foyers d'incendie ont été maîtrisés en 48 heures, ce qui ne s'est malheureusement pas produit dans certains pays européens situés sur la mer Méditerranée, où les feux de forêt se sont poursuivis pendant dix jours", selon l'agence algérienne.

 

** "MAK", Amalal et Macron

L'agence de presse algérienne a dénoncé la focalisation de la chaîne d’information française sur deux des 17 wilayas sinistrées par les feux de forêt.

Les deux wilayas, Bejaia et Bouira, sont situées dans la région de Kabylie, au centre du pays, où les incendies ont fait le plus grand nombre de victimes, dont 10 militaires.

La Direction générale de la protection civile a déclaré avoir traité, à la date du 25 juillet, 97 incendies dans 17 wilayas du nord du pays, sur fond de canicule record d'environ 50 degrés Celsius et de vents très chauds.

L'agence a considéré ce traitement sélectif de la part de la chaîne française comme "un jeu malveillant planifié et fabriqué par le mouvement terroriste MAK et ceux qui le protègent", ajoutant que "la chaîne du mal, du chaos et de la manipulation devrait arrêter ses mensonges".

Sans le nommer, l'agence a accusé un responsable français, proche du président français Emmanuel Macron, d'avoir joué le rôle de marionnettiste dans la chaîne France 24 et au sein du groupe public France Média Monde.

Elle a affirmé que cette personne occupe une haute fonction en tant qu'ambassadeur de France et délégué ministériel en charge du bassin méditerranéen, et que l'une de ses proches est "spécialisée" dans la diffamation de l'Algérie.

La personne visée par ce propos, selon le correspondant d'Anadolu, est Karim Amalal, né en 1978, d'origine algérienne dans la région de Kabylie, et connu pour sa proximité avec Macron, qui l'avait nommé depuis 2022 au poste d'ambassadeur et délégué ministériel chargé de le bassin méditerranéen.

Amalal appartient au parti de Macron, "La République en marche", qui a subi une défaite aux élections de 2020, et ses opposants ont critiqué sa promotion au poste d'ambassadeur après son échec politique, le qualifiant de "coquille vide", selon un rapport publié par le magazine Jeune Afrique.

Karim Amalal aurait une sœur nommée Maryam, journaliste et présentatrice d'émissions en français sur France 24, qui a préparé le reportage qui a provoqué la colère de l'Agence algérienne, dans lequel elle a déclaré que "des familles et des citoyens ont été brûlés vifs à Béjaïa".

 

** Un outil offensif

Analyste politique et professeur de médias Dr. Abdel Hakim Bougrara a estimé, dans un entretien avec Anadolu, que France 24 est "un outil offensif que la France utilise contre les pays qu'elle estime s'être éloignés de son orbite".

“La chaîne est soumise à l'autorité du ministère français des Affaires étrangères et de la Direction de la sécurité extérieure, et elle est utilisée pour mener une guerre psychologique contre l'Algérie, et avant cela le Mali et le Burkina Faso, surtout après la tournée du président Tebboune au cours de laquelle il a visité le Qatar, la Chine et la Türkiye, car elle tente de saboter l'élan de L'Algérie sur le plan extérieur", a-t-il expliqué.

Le Dr. Bougrara a ajouté que la chaîne française "est toujours poussée par ceux qui la contrôlent à se concentrer sur la région de la Kabylie, avec l'intention d'attiser les conflits politiques et de tenter de forcer la main aux autorités algériennes".

 

** Nouvelle crise

Une attaque d’une telle intensité de l’Agence algérienne sur une chaîne officielle française, et contre Paris, révèle une fois de plus la détérioration des relations franco-algériennes, malgré les tentatives répétées de Tebboune et Macron de normaliser les relations bilatérales.

La France a occupé l'Algérie entre 1830 et 1962, et des dossiers litigieux continuent toujours d’exister entre les deux pays depuis cette époque.

En août 2022, Macron s'est rendu en Algérie et a signé un nouvel accord de partenariat avec Tebboune qui inclut de nombreux domaines. Tebboune devait effectuer une visite similaire le 3 mai dernier, mais elle a été reportée à la fin du mois de juin dernier, avant d'être à nouveau reportée sine die.

Il semble que les relations se soient à nouveau détériorées entre les deux pays, le câble de l'APS fait suite, en effet, à une crise qui a débuté en juin dernier avec la critique faite par la ministre française des Affaires étrangères, Catherine Colonna, vis-à-vis d'un passage de l'hymne national algérien où il est question d’"un serment" menaçant la France pour ce qu’elle commis durant l'ère coloniale.

Sur un ton sarcastique, le ministre algérien des Affaires étrangères, Ahmed Attaf, avait répondu : “Peut-être pourrait-elle aussi critiquer la musique de l'hymne national. Peut-être que la musique ne lui convient pas non plus. Certains partis ou hommes politiques français voient que le nom Algérie est devenu facile à utiliser à des fins politiques".



** Réinstaurer le calme

À la lumière de ces développements, le professeur Mabrouk Kahi, professeur de sciences politiques et de relations internationales, a déclaré à Anadolu que "l'Algérie et la France sont entrées à nouveau dans un tunnel de crise".

Mabrouk Kahi a souligné que le câble de l'agence algérienne est intervenu quelques heures après la présentation des lettres de créance du nouvel ambassadeur français au ministère algérien des Affaires étrangères.

“Les relations entre les deux pays se sont toujours avérées complexes, et les présidents Tebboune et Macron conviennent que les partis français de droite et d'extrême droite entravent toute tentative de faire avancer la coopération bilatérale“, a ajouté Kahi.

Le professeur a exclu une amélioration imminente en termes de gestion de la crise actuelle, suggérant dans un même temps que les accords bilatéraux entre les deux pays, à l'instar des commissions mixtes, contribueront à réinstaurer le calme.

Source: AA

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