Tunisie : Au Royaume de la fripe, il y en a pour toutes les bourses

A la Rue des Salines, les petits commerces envahissent ce faubourg de Tunis, où les stands de fripe, ou encore bazars et étalages sont alignés. Cette adresse est, en effet, une opportunité pour les petites bourses cherchant des articles à moyen ou bas prix.

Restaurants populaires, magasins de réparation et de vente électronique côtoient cette friperie, considérée comme l’une des moins chères de Tunis.
Au petit matin, les clients commencent à affluer à la Rue des Salines, considérée comme la caverne d'Ali Baba. L’offre est diverse et abordable par rapport aux autres friperies du vieux Tunis.

''La fripe c'est chic'', ''La pièce à 1 dinar'', ''Profites-en et fais-toi belle'', des phrases lancées par les vendeurs pour attirer la clientèle féminine qui souhaite dénicher des pépites à bas prix.

Les clients sont souvent attirés par les stands les moins chers. Les plus chanceux, dénichent des articles portant des étiquettes de célèbres marques internationales.
''Il faut compter 5 dinars (presque deux dollars), pour trouver un ''t-shirt basic'', des pyjamas à 10 dinars (3 dollars) et les chaussures varient entre 35 et 140 dinars''. Les prix sont généralement moins chers que les fripes situées à la Hafsia, Bab el Khadhra ou encore Ibn Khaldoun qui ont fait des vêtements de seconde main, un produit de luxe destiné à la classe aisée et aux célébrités.

''Cette demande de plus en plus importante a dépoussiéré l'image des friperies classiques et a permis aux gens de s'habiller d'une façon décente et à moindre coût'', a indiqué Khaled, vendeur de fripe à l’Agence Anadolu.

Pas loin, une foule attend le déballage d’une balle pour dénicher, comme l’a dit Samia, cliente qui vient régulièrement à la fripe, ‘’la pièce maîtresse de la balle’’
Mère de trois enfants, Samia a expliqué que ‘’les produits de seconde main ont une durée de vie plus longue que ceux achetés neufs vu leur qualité médiocre''.

''On consacre un budget, une fois par semaine, pour la fripe car cela nous revient moins cher quand il s'agit des vêtements de tous les jours, puisque les habits neufs coûtent une fortune. Sauf bien évidement pour les grandes occasions: fêtes de mariage, Aïd ou rentrée scolaire'', a-t-elle lâché en riant.

Dans de précédentes déclarations à des médias locaux, Sahbi Maalaoui, président de la Chambre nationale des commerçants grossistes de friperie, relevant de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA) a affirmé près de 94% de Tunisiens se vêtent de la fripe.

La fripe : un produit tendance et un commerce florissant

Les vêtements de seconde main offerts aux personnes nécessiteuses, sont aujourd'hui, vendus aux barons des fripes en Afrique.
Marwa, jeune de 25 ans rencontrée dans les ruelles jouxtant la Rue des Salines a fait savoir que les gens avaient honte auparavant de dire qu’ils faisaient leurs achats dans les friperies, étant donné que c'était pour les classes démunies.

‘’Aujourd'hui, installés dans les quartiers huppés de Tunis, les commerçants ont trouvé le moyen d'attirer des personnes de toutes les couches sociales: artistes, jeunesse, voire des fashionistas’’, soulève-t-elle.

Et notre interlocuteur d’ajouter : ‘’De plus en plus de personnes sont séduites par le côté 'ancien’, voire 'stylé’. En outre, les gens ont commencé à donner de l'importance aux aspects écologiques afin de préserver la planète, faire des économies et épargner les ressources. C'est le trend du moment sur les réseaux sociaux''.

Lors de la conférence intitulée ‘’l’économie de la fripe à Tunis : quels impacts sur la ville’’, Katharina Grüneisl chercheure post-doctorante au Laboratoire d’anthropologie sociale de l’EHESS Paris a rappelé que ‘’les premières grandes quantités de la fripe sont arrivées dans les années 43-45’’.

‘’L’origine de la fripe est liée à la surproduction de vêtements dans les pays du Nord, favorisée par la montée de la ‘’Fast-fashion’’. En effet, dans les années 80-90, la collecte des vêtements de seconde main a pris de l’ampleur et s’est répandue à travers l’Europe. Auparavant destinée aux nécessiteux, la collecte commerciale a pris place lorsque la diaspora tunisienne a joué un rôle primordial surtout en France et en Italie pour commercialiser ces articles’’, a-t-elle expliqué.

‘’Aujourd’hui, on trouve non seulement des vêtements de seconde main mais aussi des articles invendus neufs’’, a-t-elle lancé. En Tunisie, les usines de tri choisissent les ‘’pièces phares’’, pour être par la suite revendues en Europe, dans les boutiques dites ‘’Vintage’’.

Par manque de moyens, Marwa fait le tour régulièrement dans les fripes de Tunis à la recherche de ‘’brands’’.

‘’En effet, les amoureux de la mode ont lancé un nouveau concept baptisé '' Vintage'', dédié à ceux et à celles qui cherchent un produit original, de qualité et unique. Dans la fripe, je trouve mon bonheur’’, indique-t-elle.

Najia, 55 ans, qui était à l’écoute de notre conversation est intervenue : ''Avec cette nouvelle mode de 'vintage', la friperie n’est plus à la portée de tous. Des articles de seconde main vendus à plus de 200 dinars, c'est énorme pour une personne qui a à peine de quoi vivre. La fripe, c'est devenu un commerce pour les riches’’.

En effet, dans le jargon de la friperie, on évoque souvent le terme ‘’crème’’ ou ‘’bit el Krima'' (chambre de la crème). Revenant sur cette expression, Katharina a expliqué ‘’qu’il s’agit des articles de valeur qui sont séparément triés dans ‘’la chambre de la crème’’ et seront exportés en France pour être vendus dans les maisons Vintage à Paris.

Khaled, notre vendeur de vêtements usés explique que ‘’le secteur vit une réelle crise", soulignant qu’"il risque de se retrouver au chômage à tout moment à cause du manque de la marchandise surtout après la pandémie de coronavirus''.

En 2021, la quantité de marchandise importée a diminué de plus de 50%, selon Sahbi Maalaoui dans des déclarations aux médias.

Un secteur complexe

La fripe est considérée comme ‘’une économie d’ombre’’ c’est-à-dire hors contrôle étatique. Une économie informelle, selon la chercheure.
Evoquant ce volet, Katharina a expliqué que ‘’la fripe a un cadre réglementaire complexe’’.

Selon le décret de 1995, ‘’la fripe doit être importée en état non trié et de seconde main’’. Il est ainsi interdit par exemple, de vendre les objets, les sacs en cuir et les jouets qui doivent être considérés comme des déchets et devront être immédiatement réexportés’’, a-t-elle rapporté.

D’après cette réglementation, ‘’la friperie triée devrait être répartie entre les différents gouvernorats, où chacun d’entre eux bénéficie d’un quota de distribution sur son marché local’’.

Lors de son intervention, Katharina Grüneisl a noté que le secteur de la fripe est ‘’libéré des droits de douane sous une condition réexportation de 30% et d’un recyclage de 20%’’.

Dans ce système ‘’complexe’’, la Tunisie est devenue un pays intermédiaire car, aujourd’hui, elle réexporte vers l’Europe mais aussi vers l’Algérie à travers ces usines, implantées principalement dans le quartier populaire de Zahrouni. ‘’Ils importent, traitent et distribuent la fripe’’, affirme-t-elle.

‘’Le déballage des balles de fripe se fait dans ces entrepôts’’, précise Katharina. Et d’ajouter que ces dépôts fournissent les détaillants mais aussi d’autres grossistes intermédiaires.
Lors de ce processus de transport assez délicat, les transporteurs risquent d’être arrêtés par la police, puisque certains produits sont interdits de circulation.

D’après les données présentées par Sahbi Maalaoui, ‘’neuf millions de tonnes de marchandises sont importées chaque année dans un pays qui compte 54 usines de friperie. Cinq d’entre elles sont exportatrices et 28 autres ont mis la clé sous le paillasson’’.

A noter que les ministères de l'Intérieur, de l'Industrie, des Finances des Affaires sociales ainsi que du Commerce interviennent pour la mise en application de ces modalités.

Source : AA

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