Election présidentielle au Kenya : la Cour suprême, un modèle d’indépendance face aux pressions politiques

Fruit de la Constitution de 2010, l’institution doit rendre sa décision sur les résultats du scrutin du 9 août, contestés par Raila Odinga.

Réputée pour son indépendance, la Cour suprême du Kenya rend lundi 5 septembre sa décision sur les résultats de l’élection présidentielle du 9 août, contestés par Raila Odinga. C’est la troisième fois depuis sa création par la Constitution de 2010 que la plus haute juridiction du pays est appelée à trancher un litige sur une élection présidentielle. En 2017, elle avait annulé le scrutin. Figure historique de l’opposition soutenue cette année par le président sortant, Uhuru Kenyatta, M. Odinga a qualifié de « parodie » les résultats annoncés le 16 août et donnant vainqueur le vice-président sortant, William Ruto, avec environ 233 000 voix d’avance.

Fruit de la Constitution de 2010, considérée comme l’une des plus progressistes d’Afrique, la Cour suprême est « l’arbitre final et l’interprète de la Constitution ». Ses décisions sont définitives et exécutoires, prononcées par sept juges officiellement nommés par le président de la République mais que ce dernier n’a cependant pas le pouvoir de choisir. Les noms des candidats sont soumis à la présidence par la magistrature à l’issue d’un processus de candidatures libres puis de sélection via des auditions publiques – parfois retransmises à la télévision. 

Créée pour statuer sur les décisions des cours d’appel relatives à la loi ou l’interprétation de la Constitution, la Cour suprême est la seule juridiction autorisée à trancher des différends liés à la présidentielle. C’est la plus haute instance du système judiciaire kényan, « l’un des plus robustes de la région, et elle ne pliera pas devant les pressions politiques », estime Benjamin Hunter, analyste au cabinet britannique Verisk Maplecroft. Selon lui, « la cour jouit d’une forte crédibilité et un processus judiciaire agirait comme une soupape pour désamorcer les tensions politiques ».

Un processus de révision constitutionnelle invalidé

Lors de la présidentielle d’août 2017, M. Kenyatta avait été déclaré vainqueur avec 54 % des voix, contre 45 % à l’opposant historique d’alors, M. Odinga. Ce dernier avait saisi la Cour suprême, affirmant notamment que la base de données de la Commission électorale indépendante (IEBC) avait été piratée et les résultats falsifiés.

Le 1er septembre 2017, la Cour suprême avait invalidé le scrutin en raison d’« irrégularités » et ordonné la tenue d’une nouvelle élection dans les deux mois, une première en Afrique. Cette décision historique avait été saluée à l’étranger comme un gage d’indépendance du pouvoir judiciaire mais fustigée par M. Kenyatta, qui avait vitupéré contre les juges « escrocs ». En octobre, il avait finalement été élu avec 98 % des voix lors d’un scrutin boycotté par l’opposition et marqué par une faible participation.

Quatre ans plus tôt, la Cour suprême avait rejeté un recours déposé par M. Odinga, confirmant l’élection de M. Kenyatta pour son premier mandat. 

En mars 2022, la Cour suprême a une nouvelle fois affiché son indépendance en invalidant un processus de révision constitutionnelle initié par M. Kenyatta. Ce projet, baptisé « Building Bridges Initiative » (BBI), entendait notamment créer de nouveaux postes au sein de l’exécutif, dont un de premier ministre, afin d’atténuer le système actuel du « vainqueur qui rafle tout », causant selon le président des conflits électoraux récurrents. Ses détracteurs dénonçaient un stratagème du chef de l’Etat, interdit par la Constitution de briguer un troisième mandat, pour se maintenir au pouvoir. Dans leurs exposés respectifs, six des sept magistrats ont estimé que le président n’avait pas le droit d’initier ce processus de révision.

Débarrasser le système judiciaire de la corruption

Depuis mai 2021, la Cour suprême est présidée par Martha Koome, première femme de l’histoire du pays à diriger l’une des trois branches de l’Etat. Cette ancienne avocate âgée de 62 ans, fervente militante des droits des femmes, était pourtant considérée comme une candidate improbable parmi les dix prétendants au poste.

Mme Koome s’est fait connaître sous le régime de l’autocrate Daniel arap Moi (1978-2002), lorsqu’elle défendait des détenus politiques, dont M. Odinga. Formée à l’Université de Londres, elle a rejoint la magistrature en 2003 après avoir exercé la profession d’avocat pendant plus d’une décennie. En 2019, elle faisait partie d’un collège de cinq juges qui avait rejeté un appel visant à empêcher une organisation de défendre les droits des homosexuels. 

Elle a promis de débarrasser le système judiciaire de la corruption et de préserver son indépendance. « Je suis une juge qui regarde la société et les Kényans se sentiront en sécurité avec moi », a-t-elle déclaré.

Source : Le Monde avec AFP

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