Soudan : après les conflits tribaux, l’impossible retour à la normale

Depuis le putsch du général Abdel Fattah Al-Burhan en octobre 2021, le spectre de la violence plane sur tous les Etats du pays.

Ayoub Haroun préfère rester dans un camp de fortune car il a trop peur des balles perdues dans son village du sud du Soudan, où un conflit tribal a emporté plusieurs de ses proches et sa maison. 

En juillet, 105 Soudanais ont été tués et 31 000 personnes déplacées après un affrontement entre les Haoussa, l’un des plus grands groupes ethniques d’Afrique, et les Barta, autre communauté africaine qui se revendique comme celle des habitants originels de l’Etat du Nil-Bleu, frontalier de l’Ethiopie.

« Les tirs n’ont pas arrêté, de jour comme de nuit » pendant une semaine, raconte à l’AFP M. Haroun, qui vit désormais dans une école de Damazine, le chef-lieu du Nil-Bleu. En quelques heures, le bâtiment a été transformé en camp de déplacés pour accueillir les familles qui accouraient des villages alentour devenus champs de bataille. « Mon frère et mon neveu sont morts et ma maison a été brûlée, comme celles de tous mes proches », raconte encore ce fermier haoussa.

Puis les armes se sont tues, la violence s’est déplacée vers d’autres Etats du Soudan où des Haoussa en colère ont incendié des bâtiments administratifs. A travers le pays, des manifestants prodémocratie ont répondu par des cortèges « pour la coexistence » et « contre le tribalisme ». Dans le Nil-Bleu, des dignitaires tribaux ont signé un cessez-le-feu sous condition et la vraie réconciliation se fait toujours attendre, laissant planer le spectre de la violence.

Vide sécuritaire

Depuis le putsch du général Abdel Fattah Al-Burhan en octobre 2021, cette menace pèse sur tous les Etats du Soudan. Avec le vide sécuritaire laissé par Khartoum – occupé à mobiliser les forces de l’ordre contre les manifestants antiputsch et étranglé financièrement par les sanctions internationales –, groupes armés et tribus peuvent faire régner la loi du plus fort. 

Dans le Nil-Bleu, la violence s’est transformée : sous la dictature islamo-militaire d’Omar Al-Bachir (1989-2019), rebelles et régime s’y livraient une guerre meurtrière. Mais les conflits tribaux, pour l’accès à l’eau ou à la terre, qui déchirent les autres Etats, étaient une rareté.

En juillet, un siècle de rancœur a brutalement ressurgi. Les Haoussa sont arrivés dans les années 1920 « à la recherche de pâturages pour leurs troupeaux », selon l’International Crisis Group (ICG). Au fil du temps, ils ont acquis « un poids économique », ajoute un chercheur local, qui préfère s’exprimer sous couvert d’anonymat. D’une part, parce qu’« habiles agriculteurs, ils ont cultivé les berges du Nil-Bleu » et, de l’autre, parce qu’ils se sont toujours tenus à l’écart de la rébellion anti-Bachir, explique-t-il à l’AFP.

Mais la coutume locale n’en a que faire : seules les tribus déjà implantées dans le Nil-Bleu, comme les Barta, peuvent posséder des terres. « Les terres sont une ligne rouge : elles n’appartiennent qu’aux tribus autochtones », martèle ainsi à l’AFP Obeid Abou Chotal, dignitaire des Barta.

Gérer « l’accès aux terres »

Les Haoussa, eux, répondent avoir seulement réclamé « que l’Etat et les autres tribus reconnaissent un conseil tribal pour s’occuper de leurs affaires », répond à l’AFP l’un de leurs leaders, Abdelaziz Al-Nour. Un Haoussa glisse malgré tout que ce conseil devait en réalité surtout gérer « l’accès aux terres ». 

Pour régler ces questions de ressources – majeures dans un pays où l’agriculture représente 43 % des emplois et 30 % du PIB –, les groupes rebelles avaient misé sur l’accord de paix de 2020 avec Khartoum. Mais pour M. Abou Chotal, ce texte « n’a pas du tout apporté la paix », et au Nil-Bleu comme ailleurs, de plus en plus de tribus veulent le revoir de fond en comble.

Dans l’autre camp, Sayda Ibrahim, de la tribu Al-Fonj, alliée des Barta, veut elle aussi en finir avec la violence. « Toute notre vie, on a vu les différentes tribus vivre en harmonie », se rappelle-t-elle.

Depuis que cette harmonie a été brisée, le marché d’Al-Roseires, où les Barta et les Haoussa ont incendié les échoppes des uns et des autres, « tout le monde est parti », se lamente Mohamed Adam. « On ne travaille presque plus », poursuit celui qui s’obstine malgré tout à ouvrir boutique, au cas où les déplacés reviennent un jour.

Source : Le Monde avec AFP

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