Guerre en Ukraine : des Mondiaux de patinage artistique sans la Russie, nation dominante

Imagine-t-on des championnats du monde de basket se dérouler sans les Américains ? Ou une Coupe du monde de rugby sans les All Blacks néo-zélandais ? Ces compétitions auraient, forcément, une dimension et une saveur différentes. C’est pourtant ce qu’il va se passer pour le patinage artistique, qui, lors des championnats du monde à Montpellier, du 23 au 27 mars, va devoir faire sans la Russie, la nation dominante de ce sport.

Ni Anna Chtcherbakova ni le couple Anastasia Mishina-Aleksandr Galliamov, pas plus que les danseurs sur glace Victoria Sinitsina et Nikita Katsalapov, tous champions du monde en titre, ne seront présents. Ils ont été déclarés persona non grata « avec effet immédiat et jusqu’à nouvel ordre » par l’Union internationale de patinage (ISU). Tout comme le reste de leurs homologues russes. 

Cette décision a été prise en réponse à l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe lancée par le président de la Russie, Vladimir Poutine, le 24 février. Le soutien de Minsk au Kremlin vaut aux patineuses et patineurs biélorusses de connaître le même sort.

« Il y a des décisions qui doivent être prises, assumées. Ce n’est pas aussi manichéen qu’on le croit, c’est compliqué, mais c’est notre responsabilité. Aujourd’hui on nous la donne, donc il faut la prendre », déclare, à propos de cette mise au ban, Nathalie Péchalat, la présidente de la Fédération française des sports de glace (FFSG), qui la salue « à titre fédéral et personnel ».

Les sportifs, des « pions sur l’échiquier »

L’ancienne danseuse sur glace a pourtant conscience que l’absence des patineurs russes à Montpellier n’est pas sans conséquence sur le niveau de la compétition et sur le spectacle. Un coup d’œil au palmarès de l’édition précédente suffit à en prendre la mesure. A Stockholm en 2021, les Russes – qui concouraient sous bannière neutre, la Russie ayant été exclue des compétitions internationales pour cause de dopage institutionnalisé – furent omniprésents sur les podiums : six médailles sur les douze distribuées, dont trois des quatre titres en jeu. 

Même constat aux Jeux olympiques (JO) d’hiver de Pékin, au mois de février : cinq médailles, dont une en or, auxquelles s’ajoute le sacre controversé dans l’épreuve par équipes, suspendu à un jugement du Tribunal arbitral du sport sur le sort de la prodige Kamila Valieva, 15 ans, contrôlée positive à une substance interdite quelques semaines avant la grand-messe des sports de neige et de glace.

« L’idée, ce n’est pas de savoir si pour nous, grand public, [leur absence] va être préjudiciable, parce qu’on n’aura pas des performances d’athlètes russes, a réagi Nathalie Péchalat avant les Mondiaux. C’est quelle est la responsabilité du mouvement sportif dans, finalement, la psychologie de Vladimir Poutine et dans les actes qu’on connaît, récemment ou moins récemment. »

Dès son arrivée à la tête du pays, en 2000, l’homme fort du Kremlin a fait du sport une arme de « soft power » « pour améliorer son image et celle de son pouvoir », rappelait au Monde Lukas Aubin, géopolitologue du sport auprès de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et auteur de La Sportokratura sous Vladimir Poutine : une géopolitique du sport russe (Bréal, 2021).

Depuis le premier conflit en Crimée, en 2014, puis les affaires de dopage, cette stratégie avait déjà commencé à marquer le pas et le pays se voit plus volontiers associé aujourd’hui aux dossiers sulfureux qu’aux performances de ses athlètes. L’« affaire Valieva », aux JO de Pékin, l’a de nouveau montré. 

Les sportifs ne sont pas seulement les victimes d’un système, mais aussi des « pions sur un échiquier », plaide Nathalie Péchalat, qui a passé trois ans dans le pays au cours de sa carrière sportive.

Le sort des athlètes ukrainiens en suspens

L’exclusion des Russes se fera sentir sur la compétition féminine, où trois de ses représentantes – Anna Chtcherbakova, Elizaveta Tuktamysheva et Alexandra Troussova – avaient trusté le podium mondial en Suède, l’an passé, et dans la catégorie couple, où les paires Mishina-Galliamov et Boikova-Kozlovskii avaient glané l’or et le bronze.

Elle prive aussi les spectateurs du troisième acte du duel entre les champions olympiques de danse sur glace Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron et leurs dauphins Victoria Sinitsina et Nikita Katsalapov. Les Moscovites furent les seuls à battre les Français depuis les Jeux de Pyeonchang (Corée du Sud) en 2018 : sur la glace de la patinoire de Graz, en Autriche, lors des championnats d’Europe en 2020. Avant d’aller chercher le titre mondial en leur absence en 2021.

A l’approche des Mondiaux, les pensées de Gabriella Papadakis étaient bien plus tournées vers le sort de ses homologues ukrainiens : « Je pense que c’est plus sur leur cas que la conversation devrait s’orienter », glissait la patineuse, en contact régulier avec les danseurs Maxim Nikitin et Alexandra Nazarova, originaires de Kharkiv, ville en proie aux bombardements des troupes russes.

Sur le réseau social Instagram, le 12 mars, le patineur Andrii Kokura publiait, lui, un échange de messages concernant son camarade, Ivan Shmuratko, 20 ans. Savait-il si ce dernier, qui doit prendre part à l’épreuve individuelle masculine, avait eu la possibilité de s’entraîner ? « Il a la possibilité de se cacher dans des abris antibombes. Ça, je le sais. »

La question de savoir si les patineurs ukrainiens seraient présents à Montpellier restait encore en suspens. Tous ont réussi à quitter leur pays et « on fera tout pour qu’ils puissent participer », précise-t-on du côté de la FFSG. Plusieurs clubs se sont déjà dits prêts à accueillir et mettre leurs structures d’entraînement à disposition des athlètes qui souhaiteraient rester en France à l’issue de la compétition.

Source : Le Monde

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