Le cœur artificiel Carmat implanté pour la première fois aux Etats-Unis

C’est une aventure mêlant recherche médicale et finance qui vient de franchir une étape importante. L’entreprise française Carmat a annoncé, jeudi 15 juillet, la première implantation humaine de son cœur artificiel aux Etats-Unis dans le cadre d’une étude clinique. L’intervention a été réalisée au Duke University Hospital de Durham (Caroline du Nord), l’un des pôles d’excellence de la chirurgie cardiaque aux Etats-Unis et l’un des quatre centres américains retenus par Carmat après le feu vert de la Food and Drug Administration.

L’entreprise devait impérativement faire des essais outre-Atlantique après y avoir reçu l’aval des autorités sanitaires, en septembre 2019. Cette « première étude clinique américaine sera déterminante pour notre développement sur le plus grand marché mondial des dispositifs médicaux », souligne le directeur général, Stéphane Piat. A ce jour, dix patients éligibles à la transplantation devraient être recrutés pour cette première phase.

Etude par étapes

Le cœur artificiel, commercialisé sous la marque Aeson, est destiné aux malades souffrant d’une insuffisance biventriculaire en phase terminale, et surtout aux patients en attente d’une transplantation, qui meurent souvent faute de greffon. « Le critère d’évaluation principal de l’étude [américaine] est la survie du patient cent quatre-vingts jours après l’implantation ou une transplantation cardiaque réussie dans les cent quatre-vingts jours suivant l’implantation, précise Carmat. Il s’agit d’une étude par étapes avec un rapport sur l’état d’évolution des trois premiers patients après soixante jours, avant le recrutement des sept patients suivants. »

Ses dirigeants le reconnaissent eux-mêmes, la société lancée sur la base des travaux du chirurgien et cardiologue Alain Carpentier a souvent été accusée de faire bien des promesses sans obtenir beaucoup de résultats. Depuis la première opération, réalisée fin 2013 à l’hôpital européen Georges-Pompidou, seuls dix-neuf patients ont bénéficié de cette prothèse de la dernière chance, implantée en France, mais aussi au Kazakhstan, en République tchèque et au Danemark, avec des durées de survie courtes et inégales.

La production s’accélère

Aux Etats-Unis, la vente de la bioprothèse autonome n’est pas envisagée avant 2024. En Europe, elle est désormais prévue d’ici à la fin de l’année, après qu’Aeson a obtenu le « marquage CE » pour l’indication d’attente de transplantation, fin décembre 2020.

Dans un premier temps, la priorité a été donnée à la France, où cinq CHU ont été sélectionnés (Pitié-Salpêtrière à Paris, Lyon, Lille, Toulouse et Rennes), et à l’Allemagne, qui pèse à elle seule 40 % du marché des dispositifs d’assistance circulatoire mécanique dans l’Union européenne. Deux pays où la liste d’attente de greffes cardiaques était respectivement de 900 et 700 patients fin 2019.

La production de ce cœur artificiel total, relié à un établissement hospitalier pour la surveillance de patients à hauts risques (accident vasculaire cérébral, saignements gastro-intestinaux, hémolyse, infections…), devra donc suivre le rythme. Sur le site de Bois-d’Arcy (Yvelines), elle s’accélère depuis quelques mois, fait savoir la société. Mais le processus d’industrialisation est délicat, la part du travail manuel dans la fabrication de ce dispositif très sophistiqué restant importante.

Evaluer le rapport coût-efficacité

Les besoins sont pourtant là. Environ 5 500 transplantations cardiaques sont réalisées chaque année dans le monde et les besoins annuels sont estimés à 100 000, rien qu’aux Etats-Unis et en Europe. Or cette activité stagne en raison d’une pénurie d’organes. Ces essais doivent permettre d’évaluer le rapport coût-efficacité du cœur artificiel comparé à une greffe ou à un patient non greffé faisant de coûteux séjours en cardiologie et en réanimation. Leurs résultats serviront à fixer un prix pour sa prise en charge par les caisses d’assurance-maladie.

Le pari économique n’est toujours pas gagné, même si la « medtech » est soutenue pas de puissants actionnaires (Airbus Group, Bpifrance, Air liquide, Truffle Capital et des familles fortunées…) et aidée par un prêt à long terme de la Banque européenne d’investissement (30 millions d’euros). Elle n’a fait que brûler du cash depuis sa création en 2008. Introduite en Bourse en 2010 au prix de 18,75 euros par action, la société a eu un parcours erratique ; le titre vaut aujourd’hui 23 euros. Ses dirigeants et ses actionnaires comptent sur les débuts de la commercialisation pour gagner enfin de l’argent.

Source : Le Monde

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