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Quatre hommes suspectés de terrorisme ont été arrêtés dans la région orientale du pays, voisine du Mali, fin janvier puis écroués.
Ils sont devenus en quelques jours les visages de la menace djihadiste au Sénégal. Arrêtés fin janvier dans la ville frontalière de Kidira, dans l’est du pays, quatre hommes ont été écroués à Dakar le 10 février. Ils sont accusés d’« association de malfaiteurs » et d’« actes d’appui au terrorisme ». Des images de propagande djihadiste ont été retrouvées dans leurs téléphones portables. Le numéro de l’un des suspects figurerait également dans un groupe WhatsApp lié à la Katiba Macina d’Amadou Koufa, l’une des principales composantes du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), affiliée à Al-Qaida au Sahel.
Les quatre hommes devraient bientôt être entendus par un juge d’instruction. A en croire leur avocat, Me Abdi Nar Ndiaye, « l’un est sénégalais, les trois autres sont maliens ». Ce sont des commerçants, « des pères de famille qui ne comprennent pas les faits qui leur sont reprochés, et qui ne connaissent pas l’organisation indiquée ». Deux des suspects auraient pourtant aidé des Sénégalais à rejoindre le groupe djihadiste actif au Burkina Faso. Des accusations que récuse Me Ndiaye, estimant qu’« il n’existe aucune preuve matérielle » et qu’il s’agit de « suppositions infondées ».
A la présidence, l’affaire est néanmoins prise très au sérieux. Macky Sall n’a pas hésité à lier ces arrestations au potentiel risque terroriste dans son pays. « Nous craignons une contagion, car leur objectif est d’atteindre la côte Atlantique. Le Sénégal et les pays côtiers sont les derniers remparts, il faut nous préparer à rentrer dans la bataille », a assumé le chef de l’Etat dans une interview à RFI le 23 février.
Si le pays n’a jamais connu d’attentat, plusieurs signaux ont fait craindre ces dernières années pour sa stabilité. Une trentaine d’imams et de prêcheurs ont été arrêtés à Kaolack, à Kolda et dans la banlieue dakaroise pour leur proximité avec des milieux djihadistes en 2015. Quatre ans plus tard, le Centre des hautes études de défense et de sécurité du Sénégal (Cheds) évoquait une « insécurité grandissante en raison de la liberté de circulation pas assez contrôlée » dans la zone frontalière du Mali et de la Mauritanie, où prospèrent les trafics d’êtres humains, de migrants, de drogue, d’armes ou de marchandises.
Le risque d’attaques a encore augmenté ces derniers mois. D’après un rapport du Conseil de sécurité des Nations unies du 3 février, « des éléments du GSIM, soutenus par des influenceurs islamistes radicaux, ont envahi le Sénégal le long de la route de Kayes à Kaffrine » et gagné du terrain dans l’est du pays. Repoussés par l’offensive des soldats français de l’opération « Barkhane » et de la Force conjointe des pays du G5 Sahel, « les groupes armés risquent de se disperser et donc de faire pression sur les frontières sénégalaises », souligne Khalifa Diop, géographe spécialiste de la sécurité au Sahel. En outre, « Dakar abrite beaucoup de sièges d’organismes internationaux et pourrait devenir une cible de choix pour des terroristes qui veulent effectuer des représailles », estime le chercheur.
Pour tenter de limiter la pénétration des cellules djihadistes dans le pays, Le Groupe d’action rapides de surveillance et d’intervention (Garsi) – une unité mobile soutenue par l’Union européenne – s’est installé à Kidira, d’où elle se déploie le long de la frontière entre le Mali et le Sénégal. À moins de cent kilomètres, une base miliaire est en cours de construction à Goudiry, dans la région frontalière de Tambacounda. Le Sénégal est également présent au Mali au sein de la mission de maintien de la paix onusienne de la Minusma.
« Nous devons renforcer les capacités de nos armées. Il faut de la coopération, de l’intelligence et du renseignement », a assuré le chef de l’Etat au micro de Radio-France internationale (RFI), tout en reconnaissant des « problèmes d’équipement » et « d’entraînement ». Une coopération sécuritaire et militaire étroite existe déjà avec la France, notamment avec la création des Eléments français au Sénégal (EFS) en 2011.
Selon Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute, il y a désormais une réelle « prise de conscience » du risque terroriste. En témoigne la participation de Macky Sall au sommet du G5 Sahel, les 15 et 16 février à N’Djamena, au Tchad, alors que son pays n’est pas membre de la Force conjointe. Le président sénégalais a promis de participer financièrement à hauteur de 1 milliard de francs CFA (environ 1,5 million d’euros).
« Jusqu’en 2014, la menace était considérée comme lointaine, note le chercheur. Aujourd’hui, le Sénégal est dans une posture proactive, renforcée depuis le coup d’Etat au Mali en août 2020. La frontière est plus poreuse et vulnérable », souligne-t-il, précisant toutefois que les confréries religieuses qui structurent l’islam sénégalais sont moins influentes dans cette partie du pays.
A Kidira, il est encore trop tôt pour parler de « cellule djihadiste » après l’arrestation des quatre présumés terroristes, selon Yousra Hamdaoui, docteure en sciences politiques associée à l’université de Saint-Louis du Sénégal. « Ils peuvent très bien être impliqués dans des trafics illégaux sans pour autant adhérer au djihad idéologique », suppose-t-elle. Pour Bakary Sambe, le risque de voir apparaître des « couveuses locales » pour djihadistes n’est toutefois pas à prendre à la légère. « La Katiba Macina peut moins s’appuyer sur les frustrations ethniques que dans d’autres régions, mais il est indispensable, estime-t-il, de renforcer l’appartenance nationale des populations de l’est et de lutter contre la précarité. »
Source : Le Monde