Haïti : le référendum constitutionnel prévu le 27 juin est reporté sine die

Les autorités évoquent des difficultés d’organisation en raison de la crise sanitaire. Les opposants dénoncent un prétexte et exigent l’annulation de la procédure dans un pays en pleine crise institutionnelle.

L’horizon politique ne semble pas s’éclaircir en Haïti. L’administration électorale haïtienne a annoncé, lundi 7 juin au soir, le report du référendum constitutionnel prévu le 27 juin en raison de la crise sanitaire causée par l’épidémie de Covid-19.

« Cette décision est motivée par les difficultés pour le conseil de rassembler et de former l’ensemble du personnel vacataire pour la réalisation du scrutin », précise le Conseil électoral provisoire (CEP) dans un communiqué.

Pour l’instant, aucune date pour sa tenue n’a été fixée. Un nouveau calendrier électoral sera établi « après les recommandations des autorités sanitaires et les avis techniques des cadres de l’institution électorale », selon le conseil.

Depuis le 24 mai, Haïti a décrété l’état d’urgence sanitaire sur l’ensemble de son territoire en raison de l’augmentation des cas de Covid-19, à la suite de la détection des variants Alpha et Gamma – respectivement identifiés pour la première fois au Royaume-Uni en décembre 2020 et au Brésil en janvier 2021.

L’opposition exige l’annulation de la procédure

L’annonce du report sine die du scrutin satisfait les opposants à la présidence qui exigent l’annulation pure et simple de la procédure. « C’est un prétexte que d’évoquer le coronavirus : le gouvernement se retrouve empêtré dans un projet de référendum inconstitutionnel illégal, illégitime et impopulaire », a réagi l’ancien député Jerry Tardieu.

Certains détracteurs du pouvoir en place accusent les membres du CEP de possibles détournements de fonds publics. « Ils ont débloqué 600 millions de gourdes [environ 5,4 millions d’euros] pour la formation du personnel, donc je pense que c’est une opération de blanchiment : ils savaient qu’ils n’allaient pas le faire, mais l’argent a été débloqué jeudi dernier », a accusé, lundi soir, l’ancien sénateur Youri Latortue lors d’une entrevue accordée à l’Agence France-Presse.

« Tous ceux qui ont gaspillé les fonds publics dans ce processus vicié, malgré les avertissements de la Cour supérieure des comptes, sont passibles d’être jugés pour détournements de fonds », a pour sa part réagi Réginald Boulos, homme d’affaires récemment entré en politique en s’opposant au président, Jovenel Moïse, et à son projet de référendum.

Avant cette récente propagation de l’épidémie de Covid-19 dans le pays, des doutes existaient déjà quant à l’organisation du référendum. La légitimité de M. Moïse, qui gouverne par décrets et sans contre-pouvoir depuis janvier 2020, est contestée par une large partie de l’opposition politique et de nombreuses organisations de la société civile.

Un tel scrutin soulève des critiques jusque dans le camp présidentiel, car la procédure est accusée de ne pas respecter les dispositions de l’actuelle Constitution. Rédigé en 1987, après la chute de la dictature des Duvalier, le texte actuellement en vigueur déclare que « toute consultation populaire tenant à modifier la Constitution par voie de référendum est formellement interdite ».

Insécurité croissante

La communauté internationale n’a également pas caché ses réticences concernant un tel scrutin. A la fin mai, l’ambassadrice américaine à l’ONU, Linda Thomas-Greenfield, a critiqué le processus, jugeant que les préparatifs n’étaient « pas suffisamment transparents ou inclusifs ». L’Union européenne avait aussi fait savoir qu’elle ne financerait pas l’organisation du référendum, jugeant le processus insuffisamment transparent et démocratique.

Organiser un vote engageant l’avenir politique du pays sur le long terme paraît compliqué compte tenu de l’insécurité grandissante en Haïti. En fin de semaine, l’accès à la moitié sud du pays a été rendu impossible en raison d’affrontements entre deux gangs pour le contrôle d’un quartier pauvre de Port-au-Prince, politiquement stratégique car densément peuplé.

Face à ces violences, des centaines de personnes habitant la zone, située à quelques centaines de mètres du palais présidentiel, ont été contraintes de fuir leur domicile, trouvant refuge dans des églises et des gymnases d’une commune voisine.

Au-delà de la capitale, la mainmise des bandes armées sur le territoire haïtien s’est accrue ces derniers mois, constatent des organisations de défense des droits humains. Et de mars à mai, selon le décompte d’organisations haïtiennes, près d’une vingtaine d’enlèvements contre rançon ont été perpétrés quotidiennement par les gangs, ciblant tant la minorité aisée que des habitants vivant en dessous du seuil de pauvreté.

Source : Le Monde avec AFP

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