Est de la RDC : Le mandat des troupes de la SADC renouvelé d’une année
- Le 22 Novembre 2024
Entre enjeux économique et géopolitiques
La course au positionnement militaire en Afrique s’accélère, avec l’arrivée de nouveaux acteurs sur le continent, qui se livrent parallèlement une guerre économique féroce pour un marché de plus de 1,3 milliards d’âmes actuellement et qui pourrait atteindre le 1,9 milliard d’habitants d’ici la moitié de ce siècle. En plus des acteurs traditionnels, comme la France et les Etats-Unis, des pays comme l’Allemagne, la Chine, l’Inde et la Russie veulent aussi marquer leur présence en Afrique, à travers l’installation de bases militaires ou l’envoi de soldats comme conseillers militaires dans plusieurs pays.
Le Sahel
Espace stratégique pour la France sur le continent noir, la bande sahélo-saharienne concentre des contingents déployés par ce pays, avec près de 5000 soldats de la force Barkhane qui intervient au Mali, en soutien à la force de maintien de la paix de l’Onu, présentent au dans ce pays depuis le coup d’Etat de 2012, ayant ouvert la voie à l’expansion du terrorisme dans le nord du Mali avant de s’étendre à plusieurs autres pays de la région. Officiellement, la France dispose d’une base militaire à Djibouti, d’un effectif d’environ 1450 hommes et en Côte d’Ivoire avec 900 soldats. Réduites au rang de «pôles opérationnels de coopération», les deux anciennes bases militaires françaises au Sénégal et au Gabon, deux pays qui donnent sur l’océan atlantique, abritent chacune 350 soldats, prêts à intervenir dans la région de l’Afrique de l’Ouest à n’importe quel moment.
Mais la France compte mettre bientôt un terme à sa mission au Mali, à la faveur de la mise en place de la force internationale conjointe du G5 Sahel, qui mobilise quasiment le même nombre de l’opération Barkhane, la plus périlleuse qu’ait connu l’Hexagone depuis des années, avec 55 militaires tués depuis 2013. Il reste que la force du G5 Sahel manque de moyens matériels et financiers, ainsi que de l’expérience nécessaire pour couvrir un territoire aussi vaste que le Sahel. Face au véto des Etats-Unis au conseil de sécurité de l’Onu, le G5 Sahel ne peut pas obtenir de mandat onusien qui lui permettrait de bénéficier des financements nécessaires à son fonctionnement. Son budget annuel est estimé à plus de 400 millions d’euros.
Le Mali, le Niger, le Burkina Faso, la Mauritanie et le Tchad, membres du G5 Sahel ne disposent pas de suffisamment de ressources financières pour assurer la pérennité d’une telle mission, censée contribuer aussi au développement économique dans la région. L’apport financier de Washington demeure quant à lui dans le cadre d’un accord bilatéral avec ces pays. L’armée américaine assure aussi un appui matériel et le renseignement, dans le cadre de coopération militaire avec la France et plusieurs autres pays, directement impliqués dans le Sahel, comme le Canada, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, qui disposent de soldats au sein des Casques bleus onusiens.
Au Niger, la France n’est plus la seule à disposer d’une base militaire dans ce pays, en proie à la menace terroriste d’Al-Qaïda, mais aussi du groupe nigérian Boko Haram et maintenant du groupe autoproclamé Etat islamique dans le Grand Sahara qui agit surtout dans l’espace frontalier avec le Mali et le Burkina Faso. S’y ajoute aussi l’instabilité que connait la Libye depuis la chute de l’ancien guide Mouammar Kadhafi fin 2011. Pris en étau par ces différentes menaces, le Niger a laissé s’installer les Français, puis les Américains du commandement de l’Africom, rejoint récemment par l’Allemagne qui a établi une base militaire, devant servir officiellement d’appui à ses 300 soldats engagés au Mali au sein des Casques bleus onusiens.
En octobre 2016, lors d’un sommet du G7, l’Italie a annoncé à son tour l’installation d’une «mission militaire» dans le nord du Niger, affichant comme objectif la lutte contre le terrorisme et le trafic de drogue qui passe par cette région vers la Libye. La lutte contre le trafic de migrants qui a explosé ces dernières années. En 2019, les Emirats Arabes Unis se mettent de la partie, en envisageant eux aussi l’installation d’une base militaire au Niger. Mais pour le moment, le projet est en suspens. Par ailleurs la France dispose d’une flotte maritime qui assure la protection des intérêts français tout au long de la côté ouest de l’Afrique.
Djibouti : une vaste base militaire pour les grandes puissances
Situé sur la Corne de l’Afrique et le Golfe d’Aden, passage stratégique pour une patrie du pétrole et commerce mondial de Marchandise (25000 navires par an et 12% du pétrole mondial), Djibouti s’est transformé en un vaste territoire militaire, où les grandes puissances se bousculent pour y installer leurs bases militaires, officiellement pour lutter contre la piraterie dans cette région intégrant les côtes somaliennes. Outre la France (lire plus haut), Djibouti accueille aussi une importante base militaire américaine dans le camp Lemonnier, occupé par les troupes françaises de 1977 jusqu’au début des années 2002. Les Américains s’y sont installé dès septembre 2002, après l’avoir réaménagé pour pouvoir accueillir quelques 55 aéronefs (avions de chasses, drones, etc.), 2100 marines et 300 autres soldats affectés à la Task Force (Force opérationnelle qui intervient en cas d’urgence), stationnés en permanence sur place. La base américaine peut accueillir 2300 soldats supplémentaires.
En 2011, c’est au tour des Japonais de venir planter leur base temporaire de 180 soldats sur une partie du camp Lemonnier, concédée par les Américains, avant de pouvoir bénéficier d’un terrain pour leur base permanente en 2012, année à laquelle l’Italie a été également autorisée par le gouvernement djiboutien d’installer leur base militaire dans ce pays. Considérée comme l’avant-poste de Pékin en Afrique, la base militaire chinoise à Djibouti a été inaugurée en 2017 et disposait de 400 soldats. Mais à terme, Pékin compterait augmenter ce chiffre à 10.000 soldats d’ici 2026, selon certaines sources.
Par ailleurs et concernant les Américains, l’Afrique est la deuxième région où les Etats-Unis interviennent militairement le plus, notamment dans la lutte contre le terrorisme dans le Sahel, après la région du Moyen-Orient. Quant à la présence humaine, Washington préfère un déploiement d’une cinquantaine de soldats tout au plus, envoyés comme conseillers militaires, dans certains pays, où le besoin se fait sentir ou pour d’autres motifs dépassant les interventions factuelles. L’Arabie Saoudite, pour qui le Yémen est un espace vital et un terrain de lutte pour contrer l’influence grandissante de son rival chiite l’Iran, veut aussi construire une base militaire à Djibouti.
La Russie lorgne sur l’Afrique
Dans cette course, la Fédération de Russie veut aussi embarquer dans le premier wagon qui lui permettra de rattraper le retard accumulé depuis la chute de l’ancien empire soviétique. Et c’est en organisant un sommet Russie-Afrique en 2017, sous la conduite du locataire du Kremlin, Vladimir Poutine, que Moscou veut se donner les moyens de sa nouvelle politique africaine, notamment sur le plan militaire. Si les échanges économiques entre la Russie et les pays africains ont triplé depuis 2010, en passant de 5,1 à 15 milliards de dollars, selon les données des douanes russes, sur le plan de la coopération militaire, Moscou a conclu depuis 2017 au moins 20 accords avec les pays de l’Afrique subsaharienne.
Parmi ces accords, il y a ceux conclus avec le Soudan et le Mozambique, en vue de lui faciliter l’entrée des navires russes dans les ports des deux pays. Un accord pour l’installation d’une base militaire navale à Port-Soudan, qui donne directement sur la mer Rouge, a été conclu entre la Russie et le Soudan, dirigé à l’époque par le président déchu Omar Al-Bachir. Des sources des autorités de transition soudanaises ont affirmé à des médias que ledit accord avait été gelé, ce que nie catégorique Moscou, via son ambassade à Khartoum, en affirmant que «cette information est fausse et qu'elle n'a reçu aucune notification de la part du Soudan concernant l'accord», lit-on dans un communiqué datant de fin avril 2021.
Au moment où la guerre faisait rage en Libye, en 2016, un journal russe Izvestia a évoqué la location par la Russie de la base militaire aérienne de Berrani en Egypte, située seulement à 80 kilomètres de la frontière avec la Libye. Opérationnelle dès l’année suivante, cette base abriterait les forces spéciales et des drones russes. L’information a vite été démentie par le Caire et Moscou. Des sources occidentales évoquent, pour leur part, la présence d’éléments de la société de sécurité Wagner, dont le dirigeant Dimitri Outkine est réputé pour être un des proches de V. Poutine.
Ouvertement engagée dans la guerre en Syrie, la société Wagner a mobilisé 2000 de ses éléments en Libye, aux côtés des forces armées dirigées par le général à la retraite Khalifa Haftar, selon l’Onu qui a exigé leur départ de ce pays. Considéré comme des mercenaires, les agents de la société de sécurité russe ont activement participé dans l’opération de conquête par Haftar de la capitale Tripoli entre le 4 avril 2019 et le 5 juin 2020. L’implication des troupes turques, en soutien au Gouvernement d’union nationale libyen (GNA) de Fayez al-Serraj, a toutefois freiné leur avancée sur la capitale libyenne, les contraignant même à quitter leurs positions pour se concentrer sur la ville de Syrte et la base d’Al-Djofra. Moscou se défend d’avoir le moindre lien avec cette société, également présente en Centrafrique, où la Russie est autorisée par le Conseil de sécurité de l’Onu d’appuyer les autorités légitimes face aux milices locales.
Mais entre ces deux acteurs, Wagner et le gouvernement russe, il n’y a qu’un fil, toutefois difficile à discerner pour pouvoir conclure de manière claire à une collision entre une entité étatique et une société de mercenariat, qui a joué un rôle important aussi bien dans la guerre du Donbass en Ukraine qu’en Syrie ou en Crimée. Outre la présence officielle russe en République centrafricaine et son projet d’installation à Port-Soudan et en Egypte, l’ambition de Moscou est d’établir des bases militaires dans trois autres pays, dont le voisin érythréen de Djibouti et Madagascar, comme l’a révélé déjà le journal allemand Bild, citant un rapport du ministère allemand des Affaires étrangères.
Au Mali, l’influence russe grandit depuis deux ans, au grand dam de la France que l’opinion publique critique fortement depuis quelques temps, accusant l’opération Barkhane d’exactions sur les civils dans le centre et le nord du pays. Dans ce pays, très instable politiquement aussi, des voix accusent ouvertement Paris d’en être derrière et ne ratent pas une occasion de demander l’appui russe pour sortir cette ancienne colonie française. Aussi, les Emirats Arabes Unis dispose d’une base logistique en Erythrée, qu’elle utilise pour ses interventions au Yémen.
La Turquie et l’Inde ne veulent pas non plus rater le train. Abou Dhabi a conclu aussi un bail de 30 ans avec le Somaliland pour installer une base navale et aérienne sur le port de Berbera, en contrepartie d’une garantie de sécurité sur ce territoire somalien qui a autoproclamé son indépendance de Mogadiscio en 1991. Si Ankara n’est engagée en Libye que depuis un an et demi, où elle veut sauvegarder ses intérêts économiques entre autres, elle est déjà présente depuis 2017 en Somalie, cet autre pays de la Corne de l’Afrique, où la Turquie a ouvert une base qui lui sert officiellement de centre d’entrainement des soldats somaliens. Plus de 200 soldats instructeurs turcs y sont envoyés pour former quelques 10000 soldats somaliens.
Quant à l’Inde, le pays a installé un poste d’écoute à Madagascar depuis 2007 pour, officiellement, protéger ses navires commerciaux. Les autorités des Seychelles ont dégagé un terrain sur l’île de l’Assomption pour que New Delhi construise sa base navale dans l’océan indien, alors que les Etats-Unis ont une base pour drones sur l’île de Victoria. Plus discrète, la Grande Bretagne a une base militaire au Kenya où elle dispose d’une unité permanente de soutien à la formation.
Sophia RAIS pour Maghreb Aujourd'hui