La Biélorussie force un avion de ligne transportant un opposant à atterrir à Minsk

Les dirigeants de l’Union européenne ont fustigé une « action inacceptable » de la Biélorussie, tandis que l’OTAN a demandé l’ouverture d’une enquête internationale. Les Vingt-Sept, réunis en sommet lundi et mardi à Bruxelles, discuteront de « possibles sanctions ».

La Biélorussie a envoyé, dimanche 23 mai, un chasseur intercepter un avion de ligne à bord duquel se trouvait un militant de l’opposition. Le média d’opposition Nexta a affirmé que son ancien rédacteur en chef, Roman Protassevitch, avait été arrêté par les services de sécurité après l’atterrissage d’urgence à l’aéroport de Minsk de ce Boeing 737 de la compagnie Ryanair en provenance d’Athènes (Grèce) et à destination de Vilnius (Lituanie), une information confirmée par la télévision d’Etat biélorusse.

En début de soirée, l’appareil a finalement pu reprendre son vol à destination de la Lituanie, un pays balte membre de l’Union européenne (UE), où il s’est posé un peu plus tard. Les dirigeants de l’UE avaient appelé de concert les autorités biélorusses à laisser l’avion repartir et à permettre à « tous ses passagers » de poursuivre leur voyage.

Réunis en sommet lundi et mardi à Bruxelles, les chefs d’Etat et de gouvernement des Vingt-Sept discuteront à cet égard de « possibles sanctions » contre la Biélorussie, en plus de celles le visant déjà et qui ont conduit son président, Alexandre Loukachenko, à se rapprocher davantage de son homologue russe, Vladimir Poutine. L’UE a en effet fustigé « une action complètement inacceptable » de Minsk, à l’instar de l’Allemagne, la France ou la Pologne, tandis que le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a réclamé une « enquête internationale » sur cet « incident sérieux et dangereux ».

Washington condamne « fermement »

Washington a également réagi, dans la soirée, par l’intermédiaire du secrétaire d’Etat Antony Blinken. Les Etats-Unis « condamnent fermement le détournement forcé d’un vol entre deux Etats membres de l’UE, et l’exfiltration puis l’arrestation qui ont suivi du journaliste Roman Protassevitch à Minsk. Nous exigeons sa libération immédiate », a déclaré le chef de la diplomatie américaine dans un communiqué.

« Cet acte choquant perpétré par le régime Loukachenko a mis en danger la vie de plus de 120 passagers, y compris des citoyens américains », a-t-il ajouté. « Les premières informations suggérant l’implication des services de sécurité biélorusses et l’utilisation d’avions militaires biélorusses pour escorter l’avion sont profondément préoccupants et nécessitent une enquête approfondie », a aussi relevé M. Blinken.

Il a ajouté que Washington appuie « le peuple biélorusse dans ses aspirations à un avenir libre, démocratique et prospère et soutient son souhait que le régime respecte les droits humains et les libertés fondamentales ».

Longues minutes d’angoisse

D’après les témoignages récoltés auprès des passagers de l’avion, Roman Protassevitch a vécu de longues minutes d’angoisse lorsqu’il a réalisé que le vol dans lequel il se trouvait allait être détourné vers Minsk.

« Il a commencé à paniquer et à dire que c’était à cause de lui », a raconté à l’Agence France-Presse (AFP) Monika Simkiene, une quadragénaire lituanienne lorsque le vol a enfin pu atterrir comme prévu à Vilnius. « Il s’est juste tourné vers les gens et a dit qu’il risquait la peine de mort », a-t-elle poursuivi. Il était « nerveux au début, mais ensuite il s’est rendu compte qu’il ne pouvait rien y faire, il s’est calmé et l’a accepté », a déclaré un autre passager, qui s’est présenté sous le seul nom de Mantas.

La première ministre lituanienne Ingrida Simonyte s’est rendue à l’aéroport de Vilnius pour accueillir l’avion, de même que plusieurs dizaines de militants biélorusses d’opposition. Certains portaient sur les épaules des drapeaux aux couleurs de l’opposition biélorusse et d’autres des pancartes proclamant « Je suis/Nous sommes Roman Protassevitch », ou encore « Ryanair, où est Roman ? »

« Nous devons afficher notre solidarité pour éviter d’être brisés un par un », a déclaré l’un d’entre eux, Aleksandr Glachkov, 36 ans. Selon lui, l’arrestation de M. Protassevitch est un « crime ».

« Alerte à la bombe »

Selon les autorités biélorusses, le Boeing a dévié de sa trajectoire à cause d’une « alerte à la bombe ». Nexta a, pour sa part, assuré que l’atterrissage d’urgence avait été suscité par une « bagarre » qu’avaient déclenchée des agents des services de sécurité biélorusses présents à son bord et selon lesquels un engin explosif avait été placé dans l’appareil. L’aéroport de Minsk, cité par l’agence de presse officielle Belta, a déclaré que l’alerte à la bombe s’était révélée « erronée » après une fouille de l’avion. Le président biélorusse, Alexandre Loukachenko, a, de son côté, personnellement donné l’ordre à un MiG-29 de l’intercepter après cette alerte, a indiqué son service de presse.

A l’été et à l’automne 2020, M. Loukachenko a été confronté à mouvement de contestation historique ayant rassemblé pendant plusieurs semaines des dizaines de milliers de personnes à Minsk et dans d’autres villes, une mobilisation énorme pour un pays d’à peine 9,5 millions d’habitants. Mais la protestation s’est progressivement essoufflée face à des arrestations massives, des violences policières ayant fait au moins quatre morts, un harcèlement judiciaire permanent et de lourdes peines de prison infligées à des militants, à des journalistes, mais aussi à de simples manifestants pacifiques.

En novembre, les services de sécurité biélorusses (KGB), hérités de la période soviétique, avaient placé M. Protassevitch, âgé de 26 ans, et le fondateur de Nexta, Stepan Putilo, sur la liste des « individus impliqués dans des activités terroristes ».

Son actuel rédacteur en chef, Tadeusz Giczan, a raconté que, « quand l’avion est entré dans l’espace aérien biélorusse », des agents du KGB, soutenant qu’une bombe était à son bord, avaient « déclenché une bagarre avec le personnel de Ryanair ». Contactée par l’Agence France-Presse, une porte-parole des aéroports lituaniens a dit avoir reçu comme première explication de le part de l’aéroport de Minsk un conflit entre des passagers et l’équipage. D’après les images du site Internet spécialisé Flightradar24, le Boeing a été intercepté au-dessus du territoire biélorusse, juste avant la frontière avec la Lituanie.

L’ambassadeur de Biélorussie en France convoqué

Roman Protassevitch est un ancien rédacteur en chef de Nexta, un média ayant joué un rôle clé dans la récente vague de contestation de la réélection en 2020 du président Loukachenko, qui occupe ces fonctions depuis 1994. Fondé en 2015, Nexta (« Quelqu’un » en biélorusse) avait notamment coordonné les rassemblements à travers la Biélorussie, diffusant des mots d’ordre et permettant de partager les photos et les vidéos des rassemblements et des violences.

L’arrestation du militant a été immédiatement condamnée par la figure de l’opposition biélorusse en exil en Lituanie, Svetlana Tsikhanovskaïa. Sur Twitter, elle a souligné que Roman Protassevitch encourait « la peine de mort ». L’ancienne république soviétique est le dernier pays en Europe à appliquer la peine capitale.

« Le régime a forcé le débarquement de l’avion @Ryanair à Minsk pour arrêter le journaliste et militant Roman Protassevitch. Il risque la peine de mort en Biélorussie. Nous exigeons la libération immédiate de Roman, une enquête de @ICAO [l’Organisation de l’aviation civile internationale] et des sanctions contre la Biélorussie. »

Le président lituanien, Gitanas Nauseda, dont le pays a également accordé le statut de réfugié à Roman Protassevitch, a quant à lui accusé le régime biélorusse d’avoir été derrière cet « acte abject ».

La France a qualifié le « détournement » du vol d’« inacceptable ». « Une réponse ferme et unie des Européens est indispensable », a réagi le ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, qui a convoqué dimanche soir au Quai d’Orsay l’ambassadeur de Biélorussie en France, Igor Fissenko.

L’Allemagne a réclamé une « explication immédiate » à la Biélorussie sur ces faits, tandis que le premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, a évoqué un « acte de terrorisme d’Etat ». « L’atterrissage forcé d’un avion de ligne au Bélarus aujourd’hui pour arrêter un journaliste est absolument inacceptable », a tweeté le premier ministre irlandais, Micheal Martin, ajoutant que cela provoquait de « grandes inquiétudes » en Europe. Le ministre des affaires étrangères britannique, Dominic Raab, a averti de son côté que « cette action extravagante de Loukachenko [aurait] de graves conséquences ».

Source : Le Monde avec AFP

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