Sénégal : 80 ans après, le massacre de tirailleurs sénégalais à Thiaroye sort du « silence assourdissant »

Le massacre de tirailleurs sénégalais par l’armée coloniale française a été célébré dimanche au Sénégal ; une toute première commémoration officielle par l’Etat sénégalais de cet épisode sombre intervenu le 1er décembre 1944 au camp de Thiaroye dans la banlieue dakaroise.

Les présidents Mohamed Ould Cheikh Ghazouani de la Mauritanie et président en exercice de l’Union africaine (UA), Adama Barrow de Gambie, Umaro Sissoco Embaló de Guinée Bissau, Assoumani Azali des Comores et Brice Clotaire Nguéma du Gabon, ont pris part aux festivités organisées sur le site faisant désormais office de cimetière des tirailleurs avec ses 202 stèles blanches.

Plusieurs autres pays africains ont envoyé des délégations officielles.

« Des héros africains sans défense, armés de courage, de dignité et de fraternité africaine ont été froidement abattus ; il s’agissait là d’un massacre. 80 ans après ces crimes de masse, le silence de Thiaroye est toujours aussi assourdissant (…) Aujourd’hui par devoir de mémoire, de vérité et de justice, nous ne pouvons oublier les exécutions sommaires ici au camp de Thiaroye. Il est impératif de rappeler l’histoire, toute l’histoire sans trou de mémoire. C’est ce qui fonde l’essence universelle des valeurs de paix, de liberté et d’égale dignité attachées à la nature humaine. Toutes ces raisons ont renforcé notre conviction de commémorer l’anniversaire du massacre de Thiaroye », a ainsi relevé le président Bassirou Diomaye Faye dans son allocution.

Ceci, a-t-il dit, pour d’une part rendre hommage aux victimes et graver leur mémoire dans la conscience collective et d’autre pour jeter les bases de la restauration de la vérité historique sur cet épisode tragique.

« Cependant il ne s’agira pas d’une porte ouverte pour susciter le ressentiment ni entretenir la colère et la haine », a dit le président Faye, assurant être guidé en l'exercice par un « devoir de mémoire contre l’oubli » et une « dette morale vis-à-vis des tirailleurs et de leurs familles ».

Le président en exercice de l’UA et chef d’Etat mauritanien a salué, pour sa part, les efforts entrepris par le Sénégal pour contribuer à restaurer la vérité sur ce triste événement et à préserver la mémoire de ces héroïques tirailleurs.

« Le massacre de Thiaroye symbolise la violence dont les Africains ont souffert par le fait de la traite et des formes manifestes et insidieuses des colonisateurs. Il symbolise aussi dans le même temps l’engagement des Africains à lutter pour leur dignité, leur devoir à s’affranchir définitivement de toute forme de domination », a relevé Mohamed Ould Cheikh Ghazouani, parlant au nom des chefs d’Etat présents à la cérémonie.

- Engagement pour une réappropriation collective du massacre

Avec les 16 pays africains concernés par ce massacre et dont les drapeaux ont, à l’occasion, été mis en évidence sur les lieux, le Sénégal va selon le président Faye initier des mesures pour « une réappropriation de cette histoire commune ».

Il a cité parmi celles-ci la mise en place à Thiaroye d’un mémorial et d’un centre de documentaire et de recherche dédiés aux tirailleurs, la rebaptisation de rues et places publiques aux noms des tirailleurs, l’inclusion de l’histoire de Thiaroye dans les curricula éducatifs et l’institutionnalisation de la journée du tirailleur le 1er décembre de chaque année.

Qualifiant de « courage moral » l’acte du président français Emmanuel Macron d’avoir assumé que les évènements de Thiaroye ont abouti à un massacre, le président sénégalais dit attendre encore plus de la France.

« Il reste beaucoup de zones d’ombre de cette histoire, notamment le nombre de tirailleurs exécutés. Identifier les victimes et situer les responsabilités est essentiel pour ouvrir la voie à une réconciliation sincère », a-t-il dit.

Il a, dans cette dynamique, sollicité de la France, la mise à disposition de toutes les archives au Comité international de chercheurs mis en place par le Sénégal pour aider à la reconstitution exacte des faits et à une meilleure connaissance de cette séquence de notre histoire partagée avec la France.

- "Rien ne peut justifier" ce massacre, selon Barrot

« Si la France reconnaît ce massacre, elle le fait aussi pour elle-même car elle n’accepte pas qu’une telle injustice puisse entacher son histoire (…) Rien ne peut justifier que les soldats de la France aient ainsi retourné leurs canons contre leurs frères d’armes », a souligné de son côté Jean-Noël Barrot, ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères qui a représenté son pays à la cérémonie.

Il a réitéré l’engagement de son pays à restituer les archives pour la manifestation de toute la vérité sur cette « plaie béante de notre histoire commune ».

« Démobilisés avant les autres, privés de la solde qui leur étaient dus (…) Une première fois ils protestèrent à Morlaix (commune française) où beaucoup refusèrent d’embarquer (…) Une deuxième fois dans le camp de Thiaroye, ils protestèrent à nouveau et refusèrent de regagner leur foyer avant de recevoir ce qui leur était dû », a rappelé Barrot.

« Un cri de colère que la France réprima dans le sang en ouvrant le feu sur ceux-là même qui avaient risqué leur vie pour qu’elle puisse être libérée », a soutenu le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

Au petit matin du 1er décembre 1944, des tirailleurs sénégalais revenus de la Seconde Guerre mondiale et cantonnés au camp de Thiaroye en attendant leur retour dans leurs pays respectifs, ont été froidement exécutés par l’armée coloniale française alors qu’ils protestaient contre la rétention de leur primes et allocations.

Le bilan est jusque-là méconnu. Les chiffres officiels de 35 puis 70 morts annoncés par la France sont battus en brèche par des historiens qui évoquent des centaines de morts.

Source: AA

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