Niger : La CEDEAO a-t-elle les moyens de sa politique ?

Le Niger a été, le 26 juillet dernier, le théâtre d'un coup d'État à la suite duquel des militaires, regroupés sous le "Conseil National pour la Sauvegarde de la Partie (CNSP)", ont pris le pouvoir. Mohamed Bazoum, élu président du pays en avril 2021, est démis de ses fonctions, les militaires invoquant la détérioration de la sécurité et la mauvaise gestion économique et sociale comme raisons de leur action. Deux jours plus tard, le général Abdourahamane Tiani, chef de la garde présidentielle au Niger, apparait à la télévision publique en tant que nouveau dirigeant du pays.

La prise du pouvoir par les militaires est largement condamnée tant sur le continent africain que par les pays occidentaux.

Les dirigeants de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), réunis en session extraordinaire le 30 juillet à Abuja, au Nigeria, exigent la libération et la réintégration dans un délai de 7 jours du président destitué Mohamed Bazoum dans ses fonctions. En outre, ils annoncent comme mesure de sanctions la fermeture des frontières entre le Niger et les pays membres de l’organisation régionale, l'interdiction de voyager pour les militaires au pouvoir et leurs familles, ainsi que la suspension de toutes les transactions commerciales avec le Niger.

Les dirigeants de la CEDEAO brandissent, dans la foulée, la menace d'une intervention militaire. Réunis ensuite le 10 août à Abuja, ils passent à la vitesse supérieure et annoncent l’activation immédiate de la force d’intervention de l'organisation. En réaction, les militaires, soutenus par le Mali et le Burkina Faso avertissent la CEDEAO et d'autres acteurs de leur détermination à défendre le Niger contre toute agression extérieure.

Près d’un mois plus tard, et en dépit des actions qui confortent le pouvoir des militaires, la CEDEAO semble lâcher du lest. Dispose-t-elle, réellement, de tous les leviers pour mettre ses menaces à exécution ?

- Succession de coups d'Etat

La CEDEAO est une organisation régionale qui a longtemps été considérée comme un acteur clé dans la promotion de la paix, de la stabilité et du développement économique en Afrique de l'Ouest. Cependant, elle a été confrontée aux cours des dernières années à un défi de taille, à savoir la succession de coups d'État, notamment au Mali, au Burkina Faso, en Guinée, et tout récemment au Niger. Les sanctions économiques infligées aux différents régimes militaires ne semblent pas avoir d’effet dissuasif, bien au contraire. Porté à la tête de la CEDEAO en juillet dernier, le président nigérian Bola Ahmed Tinubu, lui, a fait des changements anticonstitutionnels l'une de ses priorités. "Nous ne permettrons pas qu'il y ait coup d'État après coup d'État en Afrique de l'Ouest", avait-il notamment déclaré.

Le Niger, enclavé en Afrique de l'Ouest, a une histoire politique marquée par des périodes d'instabilité et de transitions démocratiques. Les défis socio-économiques, la faiblesse des institutions étatiques et la lutte pour le contrôle des ressources naturelles, en particulier l'uranium, ont contribué à la fragilité de la gouvernance. Le coup de force des militaires peut être considéré comme "un évènement salvateur précurseur d’un changement pour les populations", estime dans une déclaration à Anadolu Maman Djibriki Abdoul Razak, pésident du parti Ligue panafricanisme Umoja au Niger, entité qui milite pour la souveraineté de l'Afrique.

L’adhésion des populations aux actions des nouvelles autorités militaires, soutient-il, rend difficile une éventuelle intervention militaire de la force d’attente de la CEDEAO.

"Ce coup d'État est survenu dans un contexte politique assez compliqué, à un moment où la démocratie était menacée. La gestion du pays était devenue chaotique, surtout avec l’insécurité. Dans leur gestion, nos autorités brillaient par la mal gouvernance et l’impunité. Tous les secteurs étaient quasiment au plus bas. Le coup d'État est arrivé pour donner un souffle aux populations nigériennes et une solution pour meilleur développement du Niger et même du continent africain", martèle-t-il.

Des milliers de personnes, soutiens de militaires au pouvoir ont multiplié au cours des derniers jours des manifestations, notamment près de la base française à Niamey, pour dénoncer les sanctions de la CEDEAO et demander le départ des forces françaises du territoire nigérien.

- Plusieurs interventions armées

Au demeurant, la CEDEAO, créée en 1975, a conduit depuis les années 90 plusieurs interventions armées dans la région pour restaurer la paix et la stabilité. Des interventions souvent menées en collaboration avec d'autres acteurs internationaux tels que les Nations unies et la France. En août 1990, la force d'interposition Ecomog a été déployée au Liberia pour mettre fin à la guerre civile. Elle a réussi à ramener la paix en 1997, et ses derniers soldats ont quitté le pays en 1999. En 1997, l'Ecomog s'est redéployée en Sierra Leone, voisine du Liberia, également en guerre civile depuis 1991. Les troupes nigérianes de l'Ecomog ont chassé une junte militaire (1997-1998) et ont rétabli le président Ahmad Tejan Kabbah au pouvoir. L'Ecomog cèdera la place à une mission des Nations unies en 2000. En février 1999, l'Ecomog est intervenue en Guinée-Bissau, confrontée à une rébellion sanglante. Cependant, elle n'a pas empêché une reprise des combats ni le renversement du président. Une autre force de la CEDEAO, l'Ecomib, a été déployée après le coup d'État de 2012 en Guinée-Bissau. À partir de septembre 2002, la Côte d'Ivoire connaît une rébellion. En 2003, une mission de la CEDEAO composée de 1 300 militaires y a été déployée. En 2004, ces soldats ont intégré une opération de l'ONU, qui s'est achevée en 2017. En janvier 2013, la CEDEAO a autorisé l'envoi immédiat d'une force d'intervention pour aider le Mali à reprendre le contrôle du nord, tombé sous la coupe de groupes terroristes liés à Al-Qaïda en 2012. La France a également lancé l'opération Serval pour soutenir les troupes maliennes. La Mission internationale de soutien au Mali (Misma) a été formée initialement par la CEDEAO, regroupant jusqu'à 6 300 hommes, y compris des troupes du Tchad, qui n'est pas membre de l'organisation régionale. En 2013, la Misma a été absorbée par une mission de l'ONU, la Minusma. Enfin, en janvier 2017, la CEDEAO est intervenue en Gambie lorsque le président sortant Yahya Jammeh a refusé de quitter le pouvoir après l'élection d'Adama Barrow à la présidence. L'opération "Restaurer la démocratie" a été suspendue après quelques heures pour donner une chance à une médiation, ce qui a finalement conduit à l'abdication de Jammeh et à son exil.

 

- Dissensions

La CEDEAO est composée de 15 États membres, chacun avec ses propres forces armées et ressources, La coordination d'une intervention militaire efficace dans un pays en proie à l'instabilité politique est une entreprise complexe. Une intervention militaire soulève, également, des préoccupations quant aux conséquences potentielles pour la stabilité régionale. Elle pourrait déstabiliser davantage la région, en particulier dans un contexte où le Sahel est déjà en proie à des conflits et à des groupes terroristes actifs.

Maman Djibriki Abdoul Razak souligne les dissensions au sein de l’appareil dirigeant de la CEDEAO au sujet d’une intervention militaire au Niger.

"La CEDEAO est quasiment divisée en trois blocs dans l’optique du rétablissement du président déchu Mohamed Bazoum (...) La CEDEAO est en principe une communauté économique des pays de l’Afrique de l'Ouest qui a pour missions de faciliter le libre-échange et promouvoir les échanges économiques entre ses États membres. En début 2023, ils ont voulu former une armée, mais ça restait un projet à valider. Au Niger, ils étaient encouragés par des puissances impérialistes ayant leurs intérêts au Niger", poursuit-il.

Selon l’acteur politique nigérien, l’influence d’acteurs étrangers au sein de la CEDEAO discrédite une action militaire de l’organisation au Niger.

"La France a toujours œuvré à avoir une mainmise sur les institutions africaines. Elle a dans ce sens élargi son influence avec d’autres acteurs européens. La politique française sur le continent ne cadre pas avec les attentes de l’humanité. Pour les autorités françaises, l'Afrique reste un héritage colonial", renchérit-il.

- Signes de réticence face à des risques importants

Plus d’un mois après le coup d’État, la tension est loin de s'estomper entre les militaires au pouvoir au Niger et les dirigeants de la CEDEAO. Le risque d’une intervention militaire continue de planer. Malgré les efforts diplomatiques déployés par l’organisation, la situation au Niger reste incertaine, et l'efficacité de la CEDEAO dans la résolution de cette crise est mise à l'épreuve. Elle montre des signes de réticence à prendre des mesures décisives pour rétablir l'ordre constitutionnel, ce qui a suscité des doutes quant à sa détermination à faire respecter ses propres principes. Cette situation associée au "non alignement" de certains pays tels que le Mali, le Burkina Faso ou encore la Guinée, interpelle sur l’avenir de cette organisation créée en 1975.

En outre, l'intervention militaire, si elle a lieu, comporte des risques importants. Outre la complexité logistique, il existe un risque de résistance armée de la part des forces au pouvoir au Niger. Et tout conflit militaire pourrait provoquer des perturbations économiques et humanitaires majeures dans le pays, affectant directement la population civile.

Une autre préoccupation majeure est la réaction de la communauté internationale à une telle intervention. Les acteurs internationaux, y compris les puissances occidentales, surveillent de près la situation au Niger, et toute action militaire de la CEDEAO pourrait avoir des implications diplomatiques et politiques importantes.

Face aux défis et aux risques d'une intervention militaire, la CEDEAO explore des alternatives pour résoudre la crise au Niger. Parmi celles-ci figure en bonne place la voie de la pression diplomatique.

La crise politique au Niger a mis en lumière les défis auxquels est confrontée la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest en matière de politique étrangère et de sécurité. Alors que l'organisation régionale continue de s'efforcer de résoudre la crise nigérienne par la voie diplomatique, la question d’une réforme profonde s’impose désormais.

Source: AA

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