Au Sénégal, l’opposant Ousmane Sonko risque d’être écarté de la course à la présidentielle de 2024

Dans la soirée du lundi 8 mai, quelques affrontements entre manifestants et policiers ont éclaté à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar et dans les quartiers populaires de la capitale sénégalaise comme Parcelles Assainies.

Les protestataires signifiaient leur mécontentement après la condamnation en appel d’Ousmane Sonko à six mois de prison avec sursis et 200 millions de francs CFA (environ 300 000 euros) d’amende pour diffamation et injure publique à l’encontre du ministre du tourisme, Mame Mbaye Niang. Une peine qui pourrait rendre le principal opposant au président Macky Sall inéligible pour la présidentielle de 2024, si la condamnation devient définitive – M. Sonko peut encore se pourvoir en cassation. 

« Six mois avec sursis, c’est ce que ça vaut, s’est réjoui l’avocat français du plaignant, Me Pierre-Olivier Sur. Ousmane Sonko a lui-même forcé le carton jaune [brandi par les juges en] première instance à se transformer en carton rouge : faire appel et ne pas venir c’est promettre de recommencer, et outrager les juges c’est se mettre définitivement au ban de l’Etat de droit. » Le leader du parti Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité) avait en effet décidé de ne pas se rendre au tribunal et ses avocats avaient également boycotté l’audience. La veille, dimanche, il avait déclaré avoir « pris la décision de ne plus collaborer avec la justice » et de ne plus se présenter « devant [elle] pour répondre à quoi que ce soit ».

Nouveau procès

Le candidat déclaré à l’élection présidentielle de 2024 dénonce un complot pour l’écarter de la scène politique et il avait appelé à la « désobéissance civique contre la justice ». L’homme politique, qui est aussi maire de Zinguinchor, en Casamance, avait ainsi décidé de convoquer une session de son conseil municipal au moment où se tenait son procès en appel.

« Chacun comprend que cette posture prépare sa défense de rupture pour le procès de la semaine prochaine », renchérit Me Sur. Mardi 16 mai, Ousmane Sonko est en effet à nouveau convoqué devant les juges pour des motifs bien plus graves. Il est accusé de viols par Adji Sarr, une employée d’un salon de massage qu’il fréquentait. En 2021, son arrestation sur le chemin du tribunal dans le cadre de cette affaire criminelle avait provoqué de violentes émeutes qui avaient fait au moins treize morts. 

Lundi dans la soirée, les avocats d’Ousmane Sonko réservaient leur réaction. « Pour l’instant, la défense évalue la situation et n’entend pas communiquer immédiatement », a répondu Me Bamba Cissé. La coalition de l’opposition Yewwi Askan Wi, dont fait partie M. Sonko, a prévu de faire une déclaration, mardi 9 mai dans la journée.

« Instrumentalisation de la justice »

Mais le leader du parti Pastef a déjà reçu de nombreux soutiens du côté de figures de l’opposition. « Je suis choqué par cette condamnation qui démontre une nouvelle fois que le pouvoir instrumentalise la justice pour régler des contentieux politiques. Et ce d’autant plus que j’ai vécu pareille situation. Nous continuerons à demander que la présidentielle soit inclusive, que tous les candidats puissent y participer sauf le président sortant », a répondu Khalifa Sall. L’ancien maire de Dakar avait été condamné à cinq ans de prison ferme en 2018 pour escroquerie portant sur des fonds publics et faux. Une peine qui l’avait empêché de se présenter à l’élection présidentielle de 2019. Cette fois-ci, il a appelé « toutes les forces vives de la nation à se dresser contre cette énième entorse faite à l’Etat de droit et à la démocratie ». 

Un soutien aussi exprimé par Aminata Touré, ancienne tête de liste des élections législatives de la coalition au pouvoir Benno Bokk Yaakaar (BBY), qui a claqué la porte du camp présidentiel en septembre 2022 afin de se dresser contre un troisième mandat du président Macky Sall. « Je m’insurge contre le verdict inique contre Ousmane Sonko dont l’objectif est de l’empêcher d’être candidat à l’élection présidentielle de 2024 », déclare la femme politique qui appelle aussi « les démocrates à se mobiliser contre cette régression démocratique sans précédent dans notre pays ». 

Une manifestation est déjà prévue vendredi 12 mai par la plateforme « des forces vives de la nation F24 » pour dénoncer « l’instrumentalisation de la justice pour éliminer des candidats » mais aussi pour « s’opposer au troisième mandat de Macky Sall ». Le chef de l’Etat sénégalais, au pouvoir depuis 2012, est en effet suspecté par ses adversaires de vouloir se présenter à un troisième mandat en février 2024.

Pape Mahawa Diouf, porte-parole de la coalition présidentielle, rappelle qu’« être un homme politique n’absout pas des devoirs citoyens et ne place pas au-dessus des lois ». « Le pays fait face à une dérive dans le débat public, à des tentatives de transférer la violence dans la rue et de remplacer le débat politique apaisé par des injures, des menaces et des bravades contre les forces de défense et de sécurité, et d’appels permanents à l’insurrection contre les institutions », regrette-t-il, appelant à réguler le débat politique « par la force des idées et non pas par la violence dans la rue ».

Source : Le Monde

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